Interview

RC Lens : Dans les coulisses du métier de team manager

RC Lens : Dans les coulisses du métier de team manager

Interview
Publié le 24/04 à 12:42 - Arnaud Di Stasio

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Le métier de team manager, les superstitions dans le vestiaire du RC Lens, les déplacements européens, le suivi des joueurs… Plongée dans les coulisses du club sang et or avec Benoît Vallé Saint-Jalm, 34 ans.

Pour commencer, quelle est ton histoire avec le RC Lens ?
C’est simple, la première fois que mon père m’a emmené au stade, c’était à Bollaert. Je devais avoir 10 ans et c’était pour un Lens-PSG qui s’était terminé sur un match nul 1-1. Ce jour-là, je suis définitivement devenu supporter du RC Lens, un club que mon père appréciait beaucoup, lui qui a été élevé dans le bassin minier et dont les grands-parents sont venus de Pologne pour travailler dans la région.

Peux-tu nous retracer ton parcours ?
J’ai toujours voulu bosser dans le sport et, au départ, je pensais que ce serait dans le domaine du marketing car j’ai fait une école de commerce. Mais j’ai ensuite eu l’opportunité de travailler à l’Amiens SC, quand le club était en Ligue 2 BKT. Je suis arrivé là-bas comme chef de projet développement début 2017. Je m’occupais de la licence club et de proposer des aménagements ou des nouveautés pour le stade au moment où le club venait de monter en Ligue 1 Uber Eats. Comme le Stade de la Licorne appartient à la métropole d’Amiens, il fallait quelqu’un pour faire le lien entre le club et la métropole. Avec d’autres salariés, je donnais aussi un coup de main au moment de l’arrivée des nouveaux joueurs, lors des tests médicaux, avec les agents ou même sur de la traduction.

Et ensuite ?
J’étais de plus en plus sur la partie sportive et, rapidement, je me suis retrouvé à aider notre intendant lors des matchs à l’extérieur. Au point qu’à la fin de la saison, à l’été 2018, j’ai basculé sur le poste de team manager, que le club a créé pour répondre au mieux aux exigences du staff et de l’élite. Mais après cinq ans là-bas, j’ai souhaité voir autre chose et notamment voyager. Et alors que j’étais à Salta, en Argentine, j’ai appris que le RC Lens cherchait un team manager... J’ai tout de suite postulé et j’ai eu la chance de rejoindre le club en juin dernier !

« Tout est fait pour que les joueurs se sentent le mieux possible »

À quel moment as-tu découvert le métier de team manager ?
Lorsque je suis arrivé à Amiens ! C’est un métier assez récent en France. Et si les fans de foot identifient le métier d’intendant, c’est moins le cas pour le team manager. Je savais qu’il y avait une part de logistique et d’événementiel autour du groupe professionnel mais sans savoir que c’était un poste à part entière.

Justement, quelle serait ta définition du métier de team manager ?
Le team manager est là pour gérer tout l’extra-sportif autour du sportif. Il faut s’assurer que tout se déroule comme prévu en dehors du terrain, qu’il n’y ait pas de loupé, et s’il y en a un, pouvoir répondre tout de suite sans que le staff et les joueurs le ressentent. À Lens, le team manager travaille en équipe, plus particulièrement avec les intendants pour le matériel et avec le player care pour tout ce qui touche aux joueurs et à leurs familles. On tire tous dans le même sens pour que le groupe pro puisse faire les meilleures performances sportives possibles. Tout s’inscrit dans un ensemble car on est staffés à tous les niveaux, dans le sportif comme dans l’administratif, avec quelqu’un pour chaque mission : un directeur de la performance, un diététicien, un préparateur mental, deux personnes spécialisées dans le sommeil, une professeure de yoga… Tout est fait pour que les joueurs se sentent le mieux possible.

« S’assurer que tout sera carré quand on arrivera au stade »

Quelles sont tes différentes missions au RC Lens ?
L’organisation des matchs à domicile et à l’extérieur est une de mes missions principales. Il faut aussi s’assurer que tout se passe bien avec les intendants et le player care, dont je viens de parler. Quand un nouveau joueur arrive, on s’assure que sa demande de visa est en cours, que son dossier pour un titre de séjour est en règle, pour qu’il soit qualifié le plus rapidement possible. On fait aussi en sorte que les nouveaux joueurs qui arrivent dans la région soient bien accompagnés, qu’ils puissent compter sur le soutien du club dans leur installation et dans toutes sortes de démarches. Il y a aussi la partie repérage dans le cadre des déplacements européens, un suivi par rapport aux joueurs en sélection…

Tu as commencé par parler de ton rôle dans l’organisation autour des matchs. Tu peux nous en dire plus ?
Je m’occupe de la partie transport, avec les déplacements jusqu’à l’hôtel et jusqu’au stade, avec donc les avions, les cars… Il y a aussi une partie hôtellerie et restauration, en lien avec le diététicien du club. Il y a un cahier des charges à respecter pour chaque hôtel dans lequel on arrive. À l’extérieur, on est aussi en lien avec le club adverse auprès duquel on a formulé des demandes pour le vestiaire, qui correspondent aux besoins du staff technique, du staff médical et du diététicien. Par exemple, ça peut être un paper board, des tables de massage, une TV pour l’analyse vidéo, des packs de bouteille d’eau, des fruits secs… Ça nous évite de nous déplacer avec trop de matériel. On vérifie aussi qu’il y ait une connexion Internet possible dans le vestiaire et sur le banc de touche, qu’il y ait un nombre de places suffisant sur le banc de touche additionnel… Pour résumer, il faut s’assurer que tout sera carré quand on arrivera au stade.

Et pour ce qui est du repas des joueurs, comment vous organisez-vous ?
Notre diététicien Alexandre Maître s’occupe des menus et de tout le suivi du groupe pro dans ce domaine. Moi, je suis en relation avec l’hôtel et je vais récupérer les coordonnées du chef cuisinier pour que notre diététicien puisse le contacter en amont.

« Les repérages européens ? C’est un autre métier »

Il y a une autre de tes missions que tu aimerais aborder ?
Dans le cadre des déplacements, il y a aussi toute la partie repérage des lieux pour les matchs à l’extérieur, qui était très importante cette saison avec la Ligue des champions et la Ligue Europa. Le repérage concerne aussi les stages d’avant-saison, comme celui que l’on a fait à Divonne-les-Bains l’été dernier.

Justement, avec la Ligue des champions puis l’Europa League avec des déplacements à Séville, Arsenal, Eindhoven et Fribourg, quels défis as-tu dû relever ?
C’est un autre métier, dans le repérage notamment. Entre team managers, on échange souvent des tips donc quand tu sais qu’un club français est allé jouer contre un club étranger que tu vas rencontrer, c’est encore plus le cas. J’ai échangé avec mes homologues de Monaco, Rennes et Nantes par exemple car ils avaient joué dans ces villes-là récemment. Pour ces déplacements européens, j’ai aussi fait le choix de m’appuyer sur une agence de voyages spécialisée, qui a une expertise dans l’accompagnement des clubs professionnels à l’étranger, ce qui permet d’être plus réactif et d’avoir un interlocuteur qui centralise toutes les demandes.

Comment se déroulent ces sessions de repérage à l’étranger ?
On a fait entre un et deux jours dans chacune des villes, avec Raphaël Pollet, notre responsable sécurité, et Arnaud Goubelle, notre référent supporter. Sur place, on va voir un ou plusieurs hôtels pour nous assurer qu’il y a les espaces dont on a besoin pendant la mise au vert. On visite les cuisines pour répondre aux questions de notre chef et du diététicien. On calcule les temps de trajet entre l’aéroport, l’hôtel et le stade. Là-bas, on regarde si on aura les quatre tables de massage dont les kinés ont besoin ou s’il faudra en amener de notre côté. Ce genre de choses… On repère aussi le chemin jusqu’à la salle de conférence de presse. On fait des retours au staff et aux différents services en ce qui concerne les protocoles d’avant-match, la communication, l’analyse vidéo… En résumé, on fait tout pour éviter les mauvaises surprises quand on arrive et pour être le plus possible en terrain connu. Il faut que tout le monde sache à quoi s’attendre pour qu’une fois au stade, il n’y ait qu’à se focaliser sur le match. Ah, et j’oubliais, sur les trois repérages en Ligue des champions, on effectuait aussi du repérage pour les matchs de nos jeunes en Youth League pour transmettre les infos et petits détails au staff de l’équipe U19.

« Je suis en lien avec les sélections »

Plus tôt, tu évoquais aussi un suivi, notamment par rapport aux joueurs en sélection…
Oui, dans mes missions, il y a un suivi des avertissements reçus par les joueurs, pour que l’on ne passe pas au travers en cas de suspension. Et je suis donc en lien avec les sélections puisque je recense les convocations reçues par les joueurs et j’en informe le staff pour qu’il puisse s’organiser au mieux en fonction des dates de départ et de retour des garçons. Il faut s’assurer que les joueurs soient bien revenus dans les temps lorsqu’ils vont en sélection pendant la trêve, surtout quand on joue un vendredi soir après une trêve, comme pour le derby à Lille ou le déplacement au Havre en octobre.

Pour prendre un exemple, ça veut dire que lorsque Facundo Medina est convoqué en équipe d’Argentine ou Brice Samba en équipe de France, que gère le club ?
C’est la fédération qui s’occupe des billets d’avion mais si l’on estime que le joueur va rentrer un peu tard après son dernier match, on regarde s’il y a d’autres options qui permettent de récupérer le joueur au plus vite.

« On a la chance d’avoir un pôle player care développé »

Peut-on maintenant revenir sur la partie player care ?
À Lens, on a la chance d’avoir un pôle développé sur cet aspect-là. Chez nous, c’est Djamal Mezine qui s’occupe des joueurs et de leurs familles, de leur chercher une maison, de leur donner des conseils sur les écoles du coin ou les nounous si besoin… Par ses contacts et sa connaissance de la région, le player care est en capacité de répondre à toutes les questions et tous les besoins d’un joueur, de son agent ou de son épouse. Ainsi, le club aide et accompagne au maximum les joueurs quand ils viennent d’arriver à Lens puis ensuite, si besoin.

Parmi les différents domaines auxquels tu touches, quel est celui que tu préfères ?
Bonne question ! Je dirais que c’est l’ensemble qui me plaît. Ce qui est satisfaisant, c’est de rentrer de déplacement – idéalement avec les trois points ! – et de savoir que tout s’est déroulé parfaitement, sans couac. Pas de soucis avec l’hôtel, pas de retard au niveau des transports… Un boulot bien fait participe à mettre le staff et les joueurs dans les meilleures conditions pour performer.

« J’ai pris une claque pour mon premier match à Bollaert »

A quoi ressemble un match du RC Lens pour toi ?
Alors, on arrive au stade une heure et demie avant le coup d’envoi, à Bollaert comme à l’extérieur. Avec notre intendant « Boubou », qui remplit la feuille de match et la fait signer par le coach, je vérifie qu’il n’y ait pas d’erreur, ce qui permet d’avoir une double vérification. Ensuite, je suis en lien avec le délégué du match pour transmettre au préparateur physique les consignes sur les zones du terrain à utiliser pour l’échauffement. Je m’assure aussi que le team manager de l’équipe qui se déplace à Bollaert a tout ce dont il a besoin dans son vestiaire. Parfois, les joueurs ont aussi des demandes sur lesquelles je peux donner un coup de main aux intendants. Il peut y avoir aussi des trucs tout bêtes comme une place pour le match qu’ils ont oublié de donner et qu’il faut apporter au guichet invitations. J’aide également à dispatcher les feuilles de match pour les familles, les agents, les scouts qui sont là. En vrai, il n’y a pas tant de choses à gérer pendant le match. On est surtout là en cas d’imprévu.

D’où suis-tu les matchs ?
Je suis sur le banc de touche additionnel qui se trouve juste derrière le banc de touche et j’ai pris une claque pour mon premier match à Bollaert en tant que team manager, contre Rennes ! J’avais l’habitude d’être en tribune puisque j’ai vu énormément de matchs, un peu partout dans le stade, mais là, depuis la touche, tu ressens une atmosphère différente. C’est impressionnant.

« Il y a vraiment cette volonté d’impliquer les joueurs et le coach »

Dans certains clubs, les team managers s’impliquent sur la partie maillots et notamment les commandes. Est-ce le cas au RC Lens ?
Ici, ce sont les deux intendants, Pascal Boulogne, que l’on appelle « Boubou », et Nicolas Micelli, qui gèrent tout pendant la saison. Moi, je ne m’occupe que de la commande auprès de Puma, notre équipementier. Il faut aussi savoir qu’à Lens, on se réunit avec le coach, les intendants et les cadres de l’effectif pour choisir les futurs équipements parmi les différentes collections proposées par Puma. Cette réunion s’est tenue dès le mois d’octobre avec Florian Sotoca, Jonathan Gradit, Kevin Danso et Brice Samba parce qu’ici, il y a vraiment cette volonté d’impliquer les joueurs et Franck Haise dans un maximum de décisions.

Et tout le monde était d’accord ?
Les joueurs étaient d’accord entre eux ! À nous ensuite de les satisfaire au maximum parce qu’ils passent quand même beaucoup de temps dans ces tenues, que ce soit au club, au stade, à l’hôtel, pendant les trajets… Donc c’est important qu’ils se sentent à l’aise et ça évite qu’ils soient déçus au moment de découvrir des équipements qu’ils n’auraient pas choisis.

« Au RC Lens, il y a des exigences élevées »

Avant de travailler comme team manager avec le RC Lens, tu as exercé ce métier avec l’Amiens SC en Ligue 1 Uber Eats mais aussi en Ligue 2 BKT. Quelles sont les principales différences d’une division à l’autre ?
Il y en a de moins en moins. Les différences dépendent surtout de la destination. Il y a des clubs dans des villes où il y a moins d’hôtels, des stades où les vestiaires sont plus petits… Mais sinon, le boulot reste le même. L’idée est de partir d’un point A pour arriver à un point B en respectant un timing, d’être hébergé dans un lieu qui respecte notre cahier des charges et d’arriver au stade à l’heure. Une fois que le match est joué, même organisation pour rentrer à la maison. Maintenant, c’est sûr que dans un club comme le RC Lens, qui joue la Coupe d’Europe, il y a des exigences élevées et des besoins différents par rapport à un club de deuxième division, encore plus avec l’enchaînement des matchs tous les trois jours. Certaines choses deviennent encore plus centrales pour aider à la performance et à la récupération.

Tu as commencé à évoquer ta relation avec les autres team managers de l’élite. Qu’en est-il ?
Comme partout, il y a des affinités qui se créent avec les homologues. On est plusieurs du même âge à avoir débuté au même moment donc ça aide de découvrir les mêmes choses en même temps. Et comme je disais, on a des discussions régulières par rapport aux déplacements européens ou au retour des joueurs étrangers qui étaient en sélection. C’est par exemple arrivé avec l’Olympique Lyonnais et l’AS Monaco parce que nos deux clubs ont des joueurs en équipe du Ghana (Ernest Nuamah et Salis Abdul Samed). C’est aussi intéressant de savoir comment ça fonctionne ailleurs pour faire évoluer sa manière de travailler.

« Les anciens du groupe m’ont particulièrement bien accueilli »

Quel est ton meilleur souvenir depuis que tu as intégré le RC Lens ?
Mon arrivée en bord pelouse lorsque les joueurs sont entrés sur le terrain pour Lens-Arsenal, avec ce magnifique tifo en face de nous et la musique de la Ligue des champions qui résonnait dans Bollaert 20 ans après. L’ambiance qu’il y avait après la victoire, c’était quelque chose…

Quels joueurs t’ont le plus marqué depuis ton arrivée ?
Les anciens du groupe m’ont particulièrement bien accueilli : les Jean-Louis Leca, Florian Sotoca, Jonathan Gradit, Adrien Thomasson, Brice Samba… On a à peu près le même âge, ce qui doit faciliter les choses. Ce sont des mecs à l’image du club et du coach : simples, généreux et bosseurs. Le groupe est sain et soudé donc c’est facile de s’intégrer.

Qui dit intégration dit bizutage ?
Oui, j’ai dû chanter (rires). C’était pendant le stage de présaison à Divonne-les-Bains et j’ai choisi Femme libérée de Cookie Dingler. Si ça parlait aux joueurs ? Je ne pense pas mais c’est une des rares chansons que je connais par cœur donc je suis parti sur quelque chose de sûr ! C’est un passage obligatoire de se mettre debout sur sa chaise et de chanter a cappella devant une cinquantaine de personnes. L’idée est de faire rire tout le monde et je crois que ça a plutôt marché !

« Franck Haise est quelqu’un de très humain et très ouvert »

Peux-tu maintenant nous parler de ta relation avec Franck Haise ?
Ça se passe très bien avec le coach. À partir du moment où tu bosses, il te fait confiance et il t’écoute. C’est quelqu’un de très humain et très ouvert. C’est un plaisir de travailler avec un manager comme lui. Il colle parfaitement aux valeurs véhiculées par le Racing Club de Lens.

Pour terminer, depuis ta position privilégiée au contact du groupe pro, est-ce que tu as pu observer certains rituels ou superstitions chez les joueurs lensois ?
Bien sûr ! Quand on joue à domicile et qu’on se retrouve à l’hôtel avant, certains joueurs veulent toujours la même chambre. Il y a aussi les rituels que l’on peut voir au stade. Certains joueurs font la reconnaissance terrain, d’autres jamais, comme Angelo Fulgini. Il y a aussi des joueurs qui déposent certains objets à leur place dans le vestiaire, comme Facundo Medina qui installe sa Bible et son chapelet quand il s’installe. Et à côté de ça, tu as des joueurs qui marchent au feeling et qui ne semblent pas faire attention à ce genre de choses.