Christian Gourcuff (FCN)
Interview

L’interview 100% jeu avec Christian Gourcuff (Partie 2)

L’interview 100% jeu avec Christian Gourcuff (Partie 2)

Interview
Publié le 01/04 à 09:22 - ADS

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L’évolution du jeu, ses influences, le choix du meilleur système, les surprises Imran Louza et Nicolas Pallois, les difficultés à transmettre la motivation… Entretien avec l’entraîneur du FC Nantes Christian Gourcuff (Partie 2).

Quelles sont les équipes et les entraîneurs qui vous ont influencé ?
Je vais plutôt citer des équipes car je n’ai pas eu la chance de voir les entraîneurs travailler au quotidien. Comme tous les amoureux de foot de ma génération, j’ai été marqué à vie par le Brésil 1970 à un moment clé de mon adolescence. Après, je citerais le Brésil 1982, entraîné par Telê Santana, avec Socrates et Falcao, même s’ils ont perdu au second tour contre l’Italie. Plus tard, j’ai été marqué par le Milan de Sacchi qui était exceptionnel dans ses résultats et sa méthode, surtout venant d’Italie, un pays réputé pour son catenaccio. Il y a eu une révolution culturelle remarquable. Pour moi, ça a été une révélation. Même si je n’ai pas calqué le travail de Sacchi, ça a amené beaucoup de points de réflexion. En parallèle, le FC Nantes a toujours été une source d’inspiration. J’ai moins connu Arribas mais, évidemment, Jean-Claude Suaudeau et Raynald Denoueix, que je connais mieux, sont des personnes avec qui je partage beaucoup de choses sur le plan de la sensibilité. Il y a également eu l’Ajax, qui a traversé les décennies avec un style qui a évolué mais qui a toujours été intéressant même si c’était plus physique, davantage axé sur l’engagement, la dimension athlétique.

Et plus récemment ?
Plus près de nous, il y a le Barça bien sûr, avec une idée de foot initiée par Johan Cruyff. Je ne sais pas si c’était très formalisé dans l’entraînement mais c’est quelqu’un que j’ai toujours trouvé très intéressant à écouter. Et le jeu de son Barça, c’était quelque chose... Il y a vraiment eu une idée sur la durée. C’est lui qui a donné l’impulsion mais, vers 2010, avec Xavi, Iniesta et Messi, le Barça, c’était exceptionnel. Il y a eu deux ans où le Barça a amené le foot à un niveau qui n’avait jamais été atteint. C’était un régal. Mais sur le plan tactique, c’est plus le Milan qui m’a marqué avec cette idée de bloc court, qui permet d’avoir des relations entre les joueurs. Pour avoir un bloc court, il faut s’appuyer sur le hors-jeu, avoir une défense haute, mais il faut aussi un pressing car vous ne pouvez pas rester haut sans pression sur le porteur du ballon. L’Ajax exerçait un pressing basé sur la dimension athlétique, un peu comme le Dynamo Kiev de Lobanovski. Le Milan, c’était beaucoup plus organisé, plus formalisé.

« Dès qu’on dénature les choses, on sort du jeu et de l’efficacité »

Parmi les entraîneurs actuels, il y en a dont vous suivez particulièrement le travail ?
On a toujours plus de plaisir à regarder certaines équipes. Depuis que l’hégémonie du Barça s’est arrêtée, il y a moins d’exemples au plus haut niveau. Il y a 5-6 équipes européennes qui jouent à très haut niveau mais il n’y plus de référence sur le plan du jeu. Ça dépend aussi des relations que l’on peut avoir. J’ai de très bonnes relations avec Lucien Favre donc le côté affectif joue aussi. J’aime le dynamisme du Borussia Dortmund. Pep Guardiola continue à City sur les mêmes données qu’au Barça et son travail est certainement de la même qualité mais je suis moins enthousiaste qu’avec son Barça. La saison dernière, j’ai apprécié le parcours européen de l’Ajax. On retrouvait les valeurs dont je parlais. Mais c’est très difficile de durer comme on a pu le voir avec l’Ajax, qui a montré un visage attrayant sur une saison avant de perdre ses meilleurs joueurs. Le temps manque pour développer le collectif.

Il y a quelques saisons, les meilleures équipes d’Europe misaient beaucoup sur la possession alors que l’intensité et les transitions rapides semblent primer désormais. Comment expliquer cette évolution ?
Il y a toujours eu des modes, je me méfie. C’est le rapport de force qui a changé. On a commencé à parler du jeu de possession avec le Barça même si ça existait avant. Tout le monde a voulu faire la même chose mais, dans le jeu de possession, il n’y a pas que la possession, il y a la technique, les déplacements, la faculté à changer de rythme, la mise sous pression immédiate de l’adversaire à la perte du ballon… C’est beaucoup plus riche que ça. Faire de la possession stérile, ça dénature le jeu. Il y a eu cet effet de mode puis le Barça a décliné, a perdu contre des équipes qui misaient plus sur l’intensité. C’est le style de Liverpool aujourd’hui, avec beaucoup d’intensité physique. C’est plus conjoncturel qu’autre chose. De toute manière, comme je le disais pour la possession, il n’y a pas de fin en soi. C’est la capacité à avoir des transitions offensives rapides qui permet d’être dangereux. Avoir la possession, ça permet d’user l’adversaire et ça prépare le pressing à la perte. Les deux sont liés. Il faut une harmonie. Dès qu’on dénature les choses, on sort du jeu et de l’efficacité. Si on veut la possession sans avoir une idée de création, on fait fausse route. Si on ne fait que de la transition sans aucune maîtrise, c’est très difficile car c’est conditionné par un niveau physique qui doit être très supérieur à celui de l’adversaire. Ça ne peut pas être une stratégie à long terme. C’est l’harmonie et la cohérence entre les choix qui amènent l’efficacité et la performance sur le plan de la qualité du jeu.

On vous associe souvent au 4-4-2 à plat. Comment en êtes-vous venu à privilégier ce système ?
J’ai beaucoup changé de système. Je n’ai pas toujours joué en 4-4-2. Dans les années 90, ça ressemblait plus à un 4-3-3. J’ai aussi essayé de jouer à trois derrière en 2000, comme l’Udinese de l’époque. Mais, pour moi, le 4-4-2 est le plus rationnel en termes d’occupation de l’espace, de l’utilisation de la largeur, pour maintenir un bloc court. C’est un système qui permet d’avoir des transitions rapides dans une organisation de zones car c’est ce qui est fondamental. Ce n’est pas tellement le système, c’est l’organisation de zones, qui s’est un peu généralisée maintenant. Ce n’est pas toujours formalisé de façon claire. Dans les années 90, j’avais parlé avec Sacchi qui avait, lui, complètement formalisé cette idée de zones. On en parlait à l’époque mais c’était assez flou. C’est le marquage individuel qui était appliqué un peu partout. L’évolution principale était là. Et à partir du moment où vous avez un système en zone, c’est le 4-4-2 le plus adapté pour occuper l’espace. Dans l’animation du collectif, on ne reste pas en 4-4-2, il y a un aménagement. Dans les phases offensives, on est plutôt en 2-3-5. Dans certaines situations défensives où l’on doit être plus bas, on est plutôt en 4-4-1-1. Le travail tactique consiste à s’adapter et déformer ce bloc en fonction des situations. D’ailleurs, cette saison, les diffuseurs présentent le FC Nantes en 4-4-2 ou en 4-2-3-1 en fonction du deuxième attaquant que j’aligne. Pourtant, le système ne change pas. Ça montre qu’il y a peu de recul par rapport à l’organisation.

Merci Ludovic Blas !
Oui, par exemple ! Quand il joue avec Coulibaly, on nous présente en 4-2-3-1 alors qu’on est en 4-4-2. L’organisation générale ne change pas. Evidemment, les qualités d’un joueur comme Ludovic Blas vont l’amener à décrocher pour venir chercher le ballon et le deuxième attaquant, que ce soit Coulibaly ou Simon, prendra plus la profondeur. Et si Coulibaly et Simon jouent tous les deux, ils vont alterner pour qu’il y en ait qui décroche et que l’autre prenne la profondeur. Ce n’est pas figé. L’organisation reste la même mais l’animation va dépendre des qualités des joueurs. C’est important de respecter les points forts des joueurs et de les mettre dans les meilleures conditions pour qu’ils s’expriment. Ce ne sont pas des pions. Mais il faut une cohérence et une complémentarité pour que chacun s’y retrouve.

« Imran Louza, c’est la révélation »

Vous arrive-t-il souvent de ne pas pouvoir aller aussi loin que vous le souhaitez dans certains concepts tactiques car il est trop difficile de les faire assimiler à vos joueurs ?
Tous les jours (rires). C’est aussi ça être entraîneur. Encore une fois, les joueurs ne sont pas des pions. On serait champions du monde si tous les joueurs faisaient parfaitement ce qu’on cherche à faire ! Il y a aussi des limites, qu’elles soient techniques, physiques ou mentales, sur le plan de la volonté d’appliquer les choses. On est obligé de tenir compte de ça. J’ai évolué, heureusement, parce qu’il y a 20 ans, j’étais beaucoup plus strict dans le management. A l’époque, les joueurs étaient aussi différents. Ils acceptaient plus spontanément les contraintes. Pour arriver à un résultat, vous avez intérêt à être plus conciliant. Même si votre idée reste la même, le chemin pour y arriver nécessite beaucoup plus de diplomatie, sans pour autant perdre le fil. Ce qui est essentiel maintenant par rapport à il y a une vingtaine d’années, c’est la mentalité. Avant, les joueurs se posaient moins de questions. Ils étaient même contents d’avoir une stratégie, de l’appliquer dans ses contraintes tactiques. Ils y prenaient plaisir. Maintenant, les joueurs sont beaucoup moins spontanés dans l’adhésion. Il faut les amener à ce qu’ils partagent ça et ça demande plus de souplesse dans le management.

N’est-ce pas fatiguant de devoir faire adhérer les joueurs à son discours ?
Il ne faut pas généraliser, tous les joueurs ne sont pas comme ça. Les mentalités ne sont plus les mêmes car les intérêts ont changé notamment. Moi, je préfère parler de foot que d’être dans le compromis relationnel mais ça fait partie du travail. Le plus difficile, c’est de transmettre la motivation. C’est ce qui me fatigue. Je ne ressentais pas ça il y a 20 ans. Les entraînements, tous les aspects tactiques, ça ne me fatigue pas mais la transmission de la motivation à des joueurs qui sont très différents, c’est épuisant. Je vais avoir 65 ans aussi… Il y a un décalage entre les générations mais c’est surtout la sensibilité qui est différente.

Dans l’effectif actuel du FC Nantes, quel est le joueur qui vous a le plus surpris ?
Incontestablement, c’est Imran Louza. Pour moi, c’est la révélation. En arrivant au FC Nantes, je ne le connaissais pas. Je suis arrivé un vendredi, deux jours avant le premier match de championnat qui était le dimanche, contre Lille. On avait convenu que Patrick Collot dirigerait le groupe jusqu’à ce match et que je ne le prendrais qu’ensuite. Dès le premier entraînement que j’observe, le vendredi, je remarque Imran Louza. Je demande qui c’est… Le samedi, je le revois et il confirme. La semaine d’après, j’ai tout de suite vu que c’était un joueur qui cadrait complètement avec le foot que je ressens et qui allait nous être très utile. Imran l’a montré depuis. C’est un joueur très intéressant. Je pense qu’il va faire une grande carrière. Il y aussi Nicolas Pallois. Je le connaissais déjà mais il m’a surpris. Je ne le voyais pas avoir une telle importance dans le collectif avec notamment une qualité de relance que je ne soupçonnais pas. C’est un joueur qui m’a beaucoup surpris par rapport à l’idée que j’avais de lui. Il y a aussi Andrei Girotto que je ne connaissais pas bien et qui fait une saison remarquable à un nouveau poste de défenseur central où je l’ai replacé au bout de deux journées.

« Je me sentais un peu redevable »

Vous avez été nommé entraîneur du FC Nantes moins d’une semaine avant la reprise du championnat. De quoi se mettre dans le bain très vite…
C’était facile pour moi car je venais sans pression. Je n’ai pas eu le temps de gamberger puisque le président m’a appelé en fin de matinée et, en début d’après-midi, il me rappelait pour que je lui donne ma réponse. Je lui ai dit banco alors que je ne connaissais pas bien l’équipe et je n’avais pas spécialement suivi le championnat la saison dernière. Dans ce contexte-là, vous avez moins de pression. Mais j’avais bien sûr envie de faire le maximum pour le FC Nantes. J’avais déjà été sollicité deux fois par le président Kita et je n’avais pas pu répondre favorablement pour des raisons diverses. Comme j’avais de bonnes relations avec lui, je me sentais un peu redevable après avoir refusé deux fois. Et Nantes représentait quelque chose pour moi… Donc je n’ai pas trop eu le temps de réfléchir. Et à mon arrivée, il fallait déjà partir jouer à Lille. Pour ce match, on a gardé les options tactiques choisies sur les semaines précédentes. Mon travail a véritablement commencé le lundi.

En plus de votre rôle d’entraîneur, le président Kita a souhaité élargir vos responsabilités en octobre dernier…
La volonté du président était de définir une politique technique commune pour tout le club. C’est ce que j’ai fait à Lorient, ce que j’ai commencé à faire à Rennes mais je n’ai pas eu assez de temps… C’est également ce que je devais faire avec la sélection d’Algérie mais le projet a vite été abandonné parce qu’on se heurte toujours à des egos, à des ambitions personnelles, c’est toujours difficile. Au FC Nantes, le souci, c’est que je ne suis pas là pour 10 ans. A Lorient, j’ai eu la chance d’avoir mes anciens joueurs comme éducateurs donc il y a pu y avoir un travail dans la durée. Quand il y a un point de départ, c’est toujours difficile, d’autant plus que la durée de vie des entraîneurs est très courte maintenant. C’est très complexe de donner cette impulsion, aussi parce qu’il y a des gens en place, des ambitions, des idées qui peuvent être différentes. La réflexion est toujours d’actualité pour le président mais il faudra voir sur les mois à venir. La volonté est là mais il n’y a pas encore eu de véritable mise en place sur le plan pratique.

Pour finir, quel est le joueur le plus intelligent avec lequel vous avez travaillé dans votre carrière ?
C’est difficile. Il y en a eu pas mal en 40 ans. Des bons joueurs, j’en ai eu beaucoup mais, sans trop réfléchir, je dirais Seydou Keita. C’est un joueur qui m’a beaucoup marqué à son arrivée à Lorient en Ligue 2 en 2000. Et la suite de sa carrière a montré que c’était un joueur d’exception. Il y a aussi eu Baky Koné. Même s’il a fait une bonne carrière, il est passé à côté de quelque chose à mon avis. Je citerais aussi Fabrice Abriel. Il a eu une reconnaissance un peu tardive mais c’est un joueur qui avait un gros potentiel. Un Marama Vahirua m’a marqué par son côté créatif… Et comme je le disais pour Imra Louza plus tôt, quand Laurent Koscielny est arrivé, on a vu tout de suite que c’était un joueur qui allait jouer au-dessus. Il n’a fallu que 2-3 jours pour voir qu’il avait quelque chose en plus. Pareil pour Raphaël Guerreiro. Quand on l’a pris, on a vite vu qu’on n’allait pas le garder longtemps…