Interview

Lilian Nalis : « Le plus important, c’est que Franck Haise soit épanoui »

Lilian Nalis : « Le plus important, c’est que Franck Haise soit épanoui »

Interview
Publié le 05/01 à 09:10 - Arnaud Di Stasio

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Entraîneur adjoint de Franck Haise au RC Lens, Lilian Nalis dévoile les coulisses de son métier : entraînements, rapport aux joueurs, relation de confiance avec son numéro 1, éventuelles frustrations… Entretien.

Coéquipiers à Laval dans les années 90, Lilian Nalis et Franck Haise se sont retrouvés en juin 2020 sur le banc du RC Lens quelques semaines après la nomination de l’entraîneur des Sang et Or comme numéro 1. « Il n’y avait aucun doute sur notre entente », glisse Lilian Nalis, adjoint au Havre AC avant de rejoindre Franck Haise dans le Nord. Ancien joueur de Caen et Bastia ayant effectué la seconde moitié de sa carrière en Angleterre, Lilian Nalis raconte son rôle sans détour.

Pouvez-vous nous raconter les coulisses de votre arrivée au RC Lens ?
J’ai reçu un coup de fil de Franck au moment où il a pris l’équipe première parce qu’il cherchait un adjoint. Avec Franck, on a joué ensemble à Laval entre 1995 et 1997. On était restés en contact, nos femmes aussi. Je connaissais le joueur, l’entraîneur, mais je connaissais surtout l’homme et ses valeurs. La connexion humaine est très importante pour moi et il n’y avait aucun doute sur notre entente.

Quelle est votre conception du métier d’entraîneur adjoint ?
Je vais reprendre une phrase de Denis Zanko, mon entraîneur principal à Laval : « L’adjoint doit savoir prendre la place qui lui est laissée ». Un adjoint est une ressource, un complément. Il faut savoir où se placer, savoir ce qui nous est autorisé et ce qui ne nous l’est pas. Il faut travailler en osmose avec le coach pour parler d’une seule voix. Les joueurs ont besoin d’identifier un patron. Mon rôle est de tourner autour du coach, de lui apporter ce dont il a besoin pour l’aider au maximum. Mais je le répète, le plus important est qu’on soit à l’unisson. Une seule ligne doit ressortir : celle du coach. On est là pour aider au niveau de la mise en place, des échanges… Les membres du staff doivent être des ressources, c’est le terme à mettre en avant.

« Franck Haise reste toujours actif »

Justement, quelle est la répartition des tâches au sein du staff de Fraick Haise ?
On a tous des missions spécifiques. Le pôle performance gère la data, les GPS, les retours après les séances… Alou Diarra, qui est également adjoint, a une connexion forte avec le centre de formation donc il travaille avec le groupe pro mais avec un regard un peu plus porté sur les jeunes. Thierry Malaspina est en charge des gardiens. Et moi, je suis sur la mise en place des séances d’entraînement avec le coach. Après les séances, on échange tous les deux. J’anime les séances selon la vision du coach, selon s’il souhaite prendre un peu de recul… On s’adapte à la situation du moment et à ce qu’il recherche.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les séances d’entraînement du RC Lens ?
Franck aime animer les séances. Même lorsqu’il se met un peu plus en retrait sur une séance, il reste toujours actif. La volonté est de se soucier de nous avant tout, de travailler nos points forts en fonction de l’adversaire qu’on va rencontrer le week-end. Selon les jours de la semaine, on adapte le travail athlétique au travail technicotactique pour préparer notre match. C’est là que se greffent l’analyse vidéo de l’adversaire, l’analyse de notre match précédent, ce qui a été ou non, ce qu’on veut changer, ce qu’on veut mettre en place pour poser des problèmes à l’adversaire mais en se basant toujours sur nos qualités. On a déjà un certain nombre d’éléments sur chacun de nos adversaires car on connaît les équipes, on les voit jouer régulièrement mais on approfondit l’analyse au moment de les rencontrer. Si on sort d’un match où ça n’a vraiment pas été, on va reprendre ce qui a été mal fait. Mais si le match s’est bien passé, on va pouvoir avancer et se projeter plus rapidement sur le match qui vient. On est toujours dans l’adaptation, c’est le mot d’ordre du métier.

Lors de votre carrière de joueur, vous avez joué en Ligue 1 Uber Eats, en Ligue 2 BKT, en Italie et en Angleterre. Le rôle de l’entraîneur adjoint est-il différent selon les pays ?
Pour moi, ce n’est pas une question de pays mais une question d’hommes. A l’époque où je jouais en France, l’entraîneur n°1 avait des adjoints plus ou moins investis, avec plus ou moins de responsabilités, mais ça restait un rôle d’entraîneur. En Italie, au Chievo, l’adjoint avait déjà beaucoup plus de responsabilités. Et en Angleterre, le rôle de manager fait que l’adjoint est considéré comme un coach à part entière même si le manager est la figure du staff et transmet tous les messages… J’ai connu des managers qui étaient capables de partir 4 jours pour se reposer et qui laissaient l’adjoint s’occuper de toute la préparation avant un match. Je n’avais jamais vu ça avant ! Cette organisation existe à tous les niveaux en Angleterre. A l’inverse, Arsène Wenger et Alex Ferguson donnaient l’impression de gérer beaucoup de choses seuls.

Qu’en est-il du rapport aux joueurs ?
Ici aussi, ça dépend vachement de l’homme, de sa personnalité. J’ai connu des coachs adjoints empathiques et d’autres qui ne s’attardaient pas sur les relations humaines. Ça dépend de l’homme, pas du rôle. Certains coachs adjoints sont très performants sur l’aspect technico-tactique mais ne ressentent pas le besoin de communiquer avec les joueurs.

« Il faut être en capacité d’identifier ce qui doit rester secret »

On entend souvent que les joueurs s’ouvrent plus facilement à l’entraîneur adjoint qu’à l’entraîneur principal, que ce soit pour parler de leur situation sportive ou même de sujets plus personnels…
C’est ce que je vis mais il faut savoir raison garder. Il faut être proche des joueurs et toujours véhiculer la parole qui vient d’en haut. Quand on sent que ça ne va pas comme on veut sur le terrain, j’ai besoin d’échanger avec les joueurs, de connaître leur ressenti, d’avoir leur avis sur les séances… Est-ce qu’ils trouvent que ça leur a été utile ? Est-ce qu’ils ont tout bien assimilé ? C’est très important d’échanger. On est là pour préparer des matchs mais aussi pour potentialiser des joueurs. Il y a toujours cette volonté de gagner mais aussi de continuer à progresser. Mais bien sûr qu’il est plus facile de s’ouvrir aux adjoints qu’à l’entraîneur n°1, au patron. Et il faut être capable d’échanger, de se dire les choses avec le coach. La relation entre un coach et ses adjoints fait que ça pourra durer ou non. J’ai vécu des situations délicates dans deux côtés, que ce soit comme adjoint ou comme joueur, par rapport à des choses qui ont été dites et qui pouvaient être ressenties comme des petites trahisons.

C’est-à-dire ?
Il faut être en capacité d’identifier ce qui peut être dit et ce qui doit rester secret. Il faut être clair avec les joueurs dès le départ, bien leur expliquer ce qui est négociable ou non. Quand on procède de cette façon, les choses se passent bien. La vision du coach impose une directive. A partir du moment où un joueur la contredit, ce n’est pas possible, on passe au sujet suivant. Il y a une ligne définie par le coach, une ligne à ne pas franchir. Tout le monde doit s’y tenir, que ce soit à l’intérieur du staff ou parmi les joueurs.

Avec quels joueurs lensois avez-vous une relation privilégiée ?
Je m’entends bien avec tout le monde. Je sens au plus profond de moi que j’ai des relations plus faciles avec certains mais je n’en abuse pas. Mon intérêt, c’est que tous les joueurs se sentent bien, d’être ressource pour tous les joueurs. Je suis à l’écoute de ceux qui veulent discuter avec moi comme de ceux qui aiment moins discuter. Tant que ça reste dans le cadre, il n’y a aucun problème. En revanche, s’il y a des relations plus délicates avec certains, il faut leur ouvrir la porte. Ce n’est pas possible de faire autrement lorsqu’on est adjoint, lorsqu’on est un relais entre le coach et les joueurs. Mon intérêt est de faire avancer les joueurs, que ce soit dans la performance de l’équipe à travers l’entraînement ou dans le développement personnel. J’essaie d’utiliser mon vécu, de m’appuyer sur les rencontres que j’ai pu faire pour faire passer les messages.

Certains joueurs sont sans doute plus demandeurs de conseils que d’autres, peut-être par rapport au poste qui était le vôtre sur le terrain ?
Il y a beaucoup de choses qui entrent en compte : l’aspect footballistique, l’aspect humain, la confiance… Il y a la volonté de se développer, de progresser, de s’intéresser à des choses nouvelles, la capacité de poser des questions, de vouloir échanger… C’est pour ça qu’on est une ressource. On se met à la disposition des joueurs pour qu’ils se sentent le mieux possible. Il faut pouvoir échanger tout en restant toujours dans le cadre fixé par le club.

En quoi votre carrière de joueur vous aide-t-elle dans votre rôle actuel ?
Elle m’aide par rapport à ce que j’ai pu rencontrer sur le plan technico-tactique. Elle m’aide par rapport aux relations humaines que j’ai pu vivre. Tout ça m’aide à vivre les situations que je rencontre désormais et à adapter ma vision des choses. On est toujours en mouvement.

« Je ne sais pas si je serai numéro 1 un jour »

Arrive-t-on encore à se mettre à la place des joueurs lorsqu’on a raccroché les crampons depuis plus de 10 ans ?
Forcément, on se sent de moins en moins joueur au fil des années. Quand on raisonne encore comme un joueur, ce qui était mon cas lorsque j’ai commencé à entraîner, on pense beaucoup à l’aspect individuel du joueur. Plus on avance dans le temps, plus on analyse l’aspect collectif et plus on réfléchit à la tactique. Quand on met en place une séance, on pense les choses de façon collective, on pense aux façons d’obtenir un résultat. Les séances sont très structurées, avec par exemple des 10 contre 10, des 10 contre 10 avec un joker… On s’aperçoit qu’il faut réfléchir collectivement et ne pas se soucier uniquement de ce que fait un joueur. On ne peut pas se dire : « Parce qu’untel va faire ça sur le terrain, on va réussir ».

Comment procède-t-on ?
Il faut que toutes les lignes soient coordonnées, que tous les joueurs soient coordonnés. La réflexion est globale. Quand j’ai commencé comme entraîneur et que j’étais donc encore joueur quelques années auparavant, j’étais beaucoup plus dans le développement personnel. J’étais dans l’incapacité de réfléchir collectivement. Je me suis aperçu qu’il fallait que je déconstruise tout ce que je savais pour tout reconstruire. J’avais mon expérience, la vision de mon poste de milieu de terrain, et il a fallu réfléchir complètement à l’envers : « Pour arriver à ce résultat, que faut-il faire ? » Aujourd’hui, ma vision est plus globale qu’individuelle même si je reste bien sûr capable de faire des retours à des joueurs sur le plan individuel.

Il arrive que des clubs décident de remplacer leur entraîneur par un de ses adjoints. Est-ce que cette « menace » fait qu’il peut être difficile d’établir une relation de confiance avec l’entraîneur principal ?
Je n’ai jamais eu la volonté de prendre la place de mon entraîneur n°1. A partir du moment où je travaille avec quelqu’un, il faut une confiance totale. Ça a toujours été très clair pour moi. En revanche, j’ai pu vivre les choses différemment lorsque la personne au-dessus de moi n’avait pas confiance en moi. C’est toujours délicat quand on est coach car on sait qu’on est attendu au tournant, qu’il faut obtenir des résultats. On peut être amené à se demander si quelqu’un ne va pas vouloir notre place. Mais j’ai toujours suivi mon n°1. La fidélité est très importante pour le bon fonctionnement d’un staff. Résultat : je ne me suis jamais posé la question. Je comprends que certains puissent se poser la question mais, moi, quand je travaille avec un coach, c’est lui le patron, il n’y a aucun problème.

Dans votre carrière de joueur, avez-vous déjà senti de la méfiance entre les membres d’un staff ?
Ça peut bien sûr exister mais on en revient à ce que je disais plus tôt, c’est une question d’hommes. Moi, j’ai envie de vivre l’instant présent, j’ai envie de vivre l’aventure humaine, que l’on soit tous ensemble. Je ne suis pas là pour me dire : « D’ici à trois ans, je serai numéro 1 ». Je m’en fous. La vie m’amènera où elle m’amènera. Ça ne m’empêche pas d’être ambitieux, d’avoir la volonté de me développer, mais il ne faut pas trop y penser, nourrir cette chose-là, car c’est malsain. Je ne sais pas si je serai numéro 1 un jour. Aujourd’hui, je suis heureux dans mon rôle d’adjoint, dans tout ce qui m’est demandé et tout ce que je mets en place. Mais je ne sais pas de quoi sera fait l’avenir. Je ne sais pas si j’aurai un jour envie de franchir le cap et de travailler seul, je n’ai pas la réponse. En revanche, aujourd’hui, je me sens davantage adjoint que numéro 1 dans ma vision des choses et je suis très bien comme ça.

Dans quelle mesure y a-t-il une part de frustration à gérer lorsqu’on est entraîneur adjoint ?
Il ne faut pas qu’il y ait de frustration. Dans mon cas, le plus important, c’est que Franck Haise soit épanoui. L’adjoint doit tout faire pour que son numéro 1 se sente le mieux possible. S’il se sent en difficulté, il ne pourra pas être performant. Il faut que le numéro 1 puisse gérer ce qu’il veut, qu’il n’y ait pas de souci avec la façon dont sont gérées les tâches qu’il délègue. Le numéro 1 a suffisamment de problèmes à gérer dans son boulot, dans la gestion de l’effectif, pour que son staff soit une problématique supplémentaire. Ça ne doit jamais être le cas. En tant qu’adjoint, il faut chercher à découvrir les hommes, leurs points forts, et les encourager à aller dans leurs points forts, ne surtout pas les amener sur leurs points faibles. Sinon, les performances s’en ressentent immédiatement et ce n’est pas cohérent.

« Beaucoup plus difficile de passer les consignes cette saison »

Le retour du public dans les stades depuis l’été dernier rend forcément plus difficile la transmission des consignes que lorsque l’on jouait à huis clos. Comment a-t-il fallu s’adapter ?
C’est sûr que c’est beaucoup plus difficile de passer les consignes cette saison ! Les stades pleins font parfois perdre un peu d’équilibre à l’équipe car il y a un dépassement de soi, une volonté de l’avant et de faire plaisir au public. Mais bon, c’est tellement mieux les stades pleins… A nous de travailler pour que les joueurs maîtrisent au maximum notre animation offensive, notre animation défensive, que ces notions soient bien ancrées dans leurs têtes et qu’il n’y ait besoin que de petits réglages. A Bollaert, il n'y a que le joueur qui passe à côté du banc de touche qui entend ce que le staff lui dit ! Ça nous oblige à aller encore plus loin pour développer les capacités de lecture tactique des joueurs.

Est-ce qu’il vous arrive de suivre des matchs depuis la tribune ?
Non, on ne fonctionne pas comme ça au RC Lens. C’est notre analyste vidéo qui est en tribune. Il regarde le match tout en le filmant et je suis en lien avec lui. Il m’envoie des informations que je peux communiquer au coach. Ça marche aussi dans l’autre sens puisque je peux lui transmettre une demande du coach. Ça permet de gagner du temps pour les situations que l’on souhaite revoir dans le vestiaire à la pause. On peut échanger 3-4 fois dans un match. Le coach connaît les adversaires donc on va surtout s’attarder sur ce à quoi on ne s’attendait pas, sur des situations où on n’arrive pas à faire ce qui était prévu. Mais ce sont des détails. Grâce au travail effectué en préparation du match, 90% des choses qui se déroulent pendant la rencontre ont été repérées et les joueurs en ont été avertis.

Pendant les matchs, certains entraîneurs discutent beaucoup avec leur staff. Quelle est la dynamique sur le banc avec Franck Haise ?
Il peut y avoir des échanges sur la tactique, sur les joueurs, sur une lecture de jeu qui ne nous paraît pas cohérente… On parle aussi au moment des changements. Il y a toujours des questions. Lorsque le coach a une idée en tête, il peut avoir envie d’échanger dessus avec son staff. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde, certains entraîneurs ne souhaitent pas échanger ainsi.