Interview

Dans les coulisses du métier de recruteur

Dans les coulisses du métier de recruteur

Interview
Publié le 16/03 à 08:48 - Arnaud Di Stasio

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Recruteur au FC Lorient, Baptiste Drouet dévoile les coulisses du métier de scout, des observations au stade aux enquêtes sur la personnalité des joueurs et sur leur entourage. Sans oublier les dessous des arrivées d’Ibrahima Koné et Terem Moffi. Entretien.

Baptiste Drouet, pouvez-vous nous parler de votre rapport au foot ?
Je ne viens pas vraiment d’une famille de footeux. Quand il était jeune, mon père allait voir des matchs du FC Nantes à Marcel-Saupin mais il a un peu perdu la passion par la suite. Je ne sais pas vraiment ce qui m’a fait aimer le foot mais j’étais enfant au moment du titre de champion remporté par Nantes en 1994/95. Derrière, il y a eu la Coupe du monde 1998, les deux Coupes de France gagnées par les Canaris en 1999 et 2000 puis le titre de champion de France 2001… De grands souvenirs… A côté de ça, j’ai joué au foot jeune mais à un niveau moyen. J’ai arrêté de jouer en club en U15, j’ai vite compris que je ne ferais pas carrière !

Et ensuite ?
Je n’avais pas une grosse appétence pour l’école mais je me suis trouvé une motivation sur la fin du lycée grâce à la découverte du métier d’agent. A cette époque, je me suis renseigné sur ce qu’il fallait faire pour devenir agent ou collaborateur d’agent. J’ai vu qu’il fallait étudier le Droit. Comme la fac ne me correspondait pas forcément, j’ai choisi un DUT carrière juridique mais, finalement, c’était encore plus sélectif que la fac. Pas pour une question de niveau mais parce qu’il y a beaucoup moins de places. Je me suis donc motivé pour finir le lycée avec le meilleur dossier possible. Finalement, ce DUT donne une formation assez générale en Droit sur deux ans. Le métier d’agent représentait une porte d’entrée dans le monde du foot. J’ai vite compris que c’était un univers assez fermé, surtout sans passé de joueur de bon niveau. Derrière, j’ai fait une 3e année de licence pour valider un bac+3 mais j’avais déjà rencontré Jean-Charles Parot, l’agent avec qui j’ai commencé à travailler.

Lors de la première moitié des années 2000, le métier d’agent était pourtant moins médiatique…
C’est vrai qu’à cette époque-là, on commençait à peine à parler des super agents mais, moi, j’allais voir beaucoup de matchs, notamment des matchs de jeunes. J’avais déjà rencontré beaucoup de parents de jeunes joueurs et eux me parlaient des agents qu’ils choisissaient, de l’importance de ce métier pour eux… Cette proximité m’a fait entrer dans cette réalité.

Vous regardiez des matchs dans la région de Nantes ?
Oui, j’allais voir les jeunes du FC Nantes. J’ai commencé par la CFA quand j’avais 14 ans et, au lycée, j’allais voir toutes les équipes jusqu’aux U16. Par exemple, la première génération U16 que j’ai suivie, c’était celle des Nantais nés en 1994 avec Léo Dubois, Valentin Rongier, Abdoulaye Touré, Bendjaloud Youssouf et d’autres qui n’ont pas percé mais qui avaient une belle réputation comme Alexandre Frade, international portugais chez les jeunes, Aristote N’Dongala, qui a joué en Bulgarie, Jawad Boukabous, qui avait aussi une belle cote mais s’est un peu perdu par la suite. J’avais donc un bel échantillon sous les yeux, avec des joueurs qui ont fait carrière et d’autres qui n’ont pas percé malgré leurs qualités. Après le bac, j’avais le choix entre Lille, Villetaneuse et Lyon pour faire mes études, mais lorsque j’étais en première, j’avais été marqué par la demi-finale de Coupe Gambardella entre Nantes et l’OL. J’avais adoré les joueurs lyonnais, notamment Belfodil, Lacazette… Ça m’a vraiment interpellé et ça m’a donné envie d’aller à Lyon. Là-bas, je rayonnais dans la région pour aller voir des clubs comme Saint-Priest ou La Duchère, notamment quand ils affrontaient les équipes de jeunes des clubs professionnels.

« Collaborateur d’agent ? C’est grâce au papa de Léo Dubois »

Comment en arrive-t-on à travailler comme collaborateur d’agent ?
C’est grâce au papa de Léo Dubois, que j’ai rencontré lorsqu’il était en U16 et que je continuais à voir lorsque j’étudiais à Lyon. Son père m’a présenté son agent au tournoi de Montaigu. Quelques mois plus tard, je suis allé voir un Nantes-Lorient en U19 et j’ai revu Jean-Charles Parot. Je cherchais un stage et il a accepté de me prendre. Après ce stage, je suis resté en contact régulier avec lui pendant que je continuais mes études. J’ai fait un deuxième stage avec lui avant qu’il me salarie en 2012. Et j’ai travaillé comme collaborateur d’agent jusqu’en 2019 et mon arrivée au FC Lorient.

Qu’avez-vous retenu de cette expérience dans le milieu des agents ?
Ça a été une bonne occasion de découvrir le monde pro de l’intérieur. J’allais voir des matchs un peu partout en France, principalement dans la moitié Nord. J’allais aussi parfois à l’étranger, surtout dans les pays frontaliers comme la Belgique et la Suisse mais, rapidement, j’ai compris que ce n’était pas le métier d’agent qui me plaisait mais plutôt le contact avec les clubs. J’ai vu comment ils fonctionnaient, de la gestion au recrutement… J’avais en tête de basculer un jour côté club au niveau du recrutement tout en prenant le temps de découvrir un maximum de choses et d’acquérir de l’expérience. J’ai eu l’occasion de gérer pas mal de joueurs, qui ont plus ou moins bien réussi, ce qui a continué à forger mon œil et ce qui m’a donné une idée précise de la méthodologie que je voulais mettre en place par la suite.

De quels joueurs vous êtes-vous occupé ?
Je peux citer Léo Dubois, que j’ai connu tout jeune, Valentin Rongier, Benjamin Bourigeaud, qu’on a accompagné sur ses débuts chez les pros, Paul Nardi, Farid Boulaya… J’ai aussi été marqué par Sofiane Hanni, que j’avais suivi pendant sa formation à Nantes et qui était ensuite parti en D2 turque, où on l’avait un peu oublié. On l’a ramené à Malines en Belgique et derrière, il a été capitaine d’Anderlecht et international algérien. C’est une réussite dont je suis fier parce qu’on a participé à relancer sa carrière.

Pourquoi recruteur plutôt qu’agent ?
Ce qui me plaît, c’est vraiment l’observation, le fait de découvrir des joueurs, l’analyse du potentiel… J’étais beaucoup sur cette partie technique côté agent. Avec Jean-Charles Parot, on se partageait les tâches. Lui s’occupait plutôt du relationnel et du commercial et moi de la recherche de joueurs, des montages vidéo, que ce soit pour faire leur promo ou pour les aider à progresser, ce qui se faisait moins à l’époque côté club. Les joueurs en étaient très demandeurs.

Comment s’est déroulée votre arrivée au FC Lorient fin 2019 ?
Les années précédentes, j’avais eu des touches en Ligue 2 et en National mais ça ne s’était pas fait. Un peu avant Lorient, j’avais aussi été en contact avec un club de Ligue 1. J’ai fini par dire à mon employeur que je voulais franchir le pas. Il n’y a pas eu de souci car c’était clair entre nous deux. J’ai relancé plusieurs clubs, notamment Lorient et son directeur général Fabrice Bocquet, que j’avais rencontré à l’occasion de la signature de Paul Nardi au club. On s’est rencontrés, puis j’ai eu un deuxième entretien, avec le directeur sportif, et ça a collé.

« Avoir des listes de noms pour tous les postes, à tout moment »

Vous évoquiez votre méthodologie plus tôt. C’est le point sur lequel vous avez mis l’accent lors de ces discussions ?
Oui, j’ai mis en avant mon idée de méthodologie mais aussi ma faculté à récolter pas mal d’infos sur les joueurs, que ce soit sur leur personnalité ou leur entourage. Mais oui, j’ai insisté sur la méthodologie et les outils à mettre en place pour l’appliquer. Je n’ai rien inventé mais l’idée est de classifier tous les joueurs sur lesquels on fait des rapports, les regrouper dans une base de données pour avoir des listes de noms pour tous les postes, à tout moment.

Comment la cellule de recrutement du FC Lorient est-elle structurée ?
On est trois recruteurs autour du directeur sportif, Christophe Le Roux. On a un recruteur basé à Lorient qui s’occupe principalement de l’Ouest et du Nord de la France, un recruteur dans le Sud et, moi, je suis basé en région parisienne, ce qui me permet aussi de facilement me déplacer à l’étranger.

Au-delà de cette répartition géographique, existe-t-il une répartition des tâches entre recruteurs selon le poste des joueurs par exemple ?
Ce n’est pas le cas chez nous et je n’ai pas entendu parler de ça en France mais ça existe, oui. Je sais notamment que Brighton a des recruteurs différents selon les postes.

Des joueurs comme Léo Pétrot ou Sambou Soumano ont commencé par jouer avec la réserve de Lorient. Est-ce que les mêmes scouts recrutent pour l’équipe pro et la réserve ?
Oui. Chez nous, il y a trois recruteurs pour l’équipe pro et un responsable pour le recrutement du centre de formation. Sous ses ordres, il a un recruteur spécialisé dans les jeunes à partir de 15 ans et un recruteur pour la post-formation. C’est la filière des Pétrot, Soumano et d’autres qui sont arrivés pour renforcer la réserve dans un premier temps.

Quels sont vos points forts ?
Je ne me sens pas plus à l’aise sur un poste plutôt qu’un autre. Au contraire, c’est intéressant de voir différents profils. En fonction de nos besoins, on peut passer beaucoup de temps à regarder des joueurs qui ont le même poste donc quand on peut observer un autre poste, ça permet de varier. Je me sens généraliste même si j’aime énormément le poste d’attaquant, surtout les joueurs qui ne marquent pas encore beaucoup de buts. La multitude d’aptitudes différentes qui peuvent exister pour performer à ce poste est passionnante. Sinon, ma force, c’est que j’aime beaucoup travailler en vidéo. C’est un sujet en ce moment car les clubs réfléchissent de plus en plus à la part que doit occuper la vidéo. Certains estiment qu’il faut faire énormément de live, d’autres davantage de vidéo, d’autres un mix des deux… La vidéo fait disparaître les limites géographiques. Je peux me faire un avis rapide sur tout ce qui est diffusé avant d’éventuellement approfondir en live.

A quoi est due cette préférence selon les clubs ?
C’est une question de vision. C’est sûr qu’on voit plus de choses en live. Le champ de la vidéo est limité. A côté de ça, alors qu’on peut voir deux matchs en live dans une journée, et encore, on peut voir des matchs toute la journée lorsque l’on travaille en vidéo. Ce n’est pas qu’une question de moyens, c’est aussi une histoire de philosophie. Veut-on voir beaucoup de joueurs un peu moins bien ou privilégie-t-on une vision plus précise du joueur mais en voyant moins de matchs ?

« On doit connaître absolument tous les joueurs de nos championnats locaux »

La concurrence est peut-être telle qu’on a moins le temps de prendre le temps justement…
C’est ça, certains clubs estiment qu’ils doivent avoir « fini » d’observer le championnat dans lequel ils évoluent dès le mois d’octobre. Si tu veux voir toutes les équipes plusieurs fois, il n’y a pas d’autre choix que de passer par la vidéo. A deux ou trois recruteurs, tu ne peux pas voir plusieurs matchs des 19 équipes sur les 10 premières journées de championnat. C’est une question d’efficience. Pour moi, l’idéal est d’avoir un mix des deux mais il y a des gens davantage habitués à faire du live que de la vidéo. Il s’agit de deux façons de travailler différentes, c’est normal que certains soient plus à l’aise sur un support qu’un autre. Pour en revenir à la concurrence, on part du principe qu’on doit connaître absolument tous les joueurs de nos championnats locaux. Le marché lorientais, c’est principalement la Ligue 2 et le National. S’il n’y a pas suffisamment de joueurs dans ces championnats pour pourvoir à tous nos besoins, on passe à d’autres championnats. On se répartit les championnats étrangers et on travaille chacun de notre côté pour ressortir les joueurs qui peuvent être intéressants pour nous. Ces dernières années, on l’a beaucoup fait, on a plutôt recruté à l’étranger. Mais donc, avant de recruter à l’étranger, c’est essentiel de savoir ce qu’il y a chez nous.

Vous privilégiez le marché français pour quelles raisons ?
Principalement car les joueurs s’adaptent plus rapidement. C’est le marché historique du FC Lorient. C’est en France que le club a réalisé ses plus gros coups avec des joueurs comme Laurent Koscielny, Raphaël Guerreiro, Yoane Wissa… On parle de joueurs qui viennent essentiellement de Ligue 2 et de National. C’est donc une question d’adaptation mais on se heurte à la réalité des coûts. Les joueurs de Ligue 2 sont de plus en plus chers, surtout quand ils sont jeunes et qu’ils jouent. Maintenant, on ne peut plus être le choix numéro 1 de tous les joueurs qui brillent à ce niveau-là, ce qui nous pousse à aller regarder à l’étranger.

Qui définit les cibles de recrutement au club ?
Tout part du coach. Il a sa vision et on s’y adapte. Ensuite, le coach discute avec le directeur sportif du nombre de joueurs qu’il faut, à quels postes, quels profils… Les recruteurs s’adaptent aux besoins du coach sur le profil des joueurs recherchés et, ensuite, le directeur sportif peut définir des priorités. Par exemple, pour Moritz Jenz, qui est arrivé l’été dernier, on a su en fin de saison dernière qu’on avait besoin d’un défenseur central avec de la taille et dynamique. Il fallait qu’il soit capable de jouer axe droit et axe gauche et, idéalement, plein axe dans une défense à trois. Il y avait pas mal de critères. On a établi une short list de quatre ou cinq joueurs, avec Moritz Jenz en premier choix et des joueurs comme Joseph Okumu qui a ensuite signé à La Gantoise. Les négociations ont un peu duré mais on a réussi à faire venir Moritz en août.

Vous parlez des caractéristiques techniques mais est-ce que le coach et les dirigeants vous parlent également du caractère des joueurs à recruter ?
Bien sûr, il peut y avoir un besoin d’expérience à un poste spécifique, un besoin de caractère. Pour une raison ou une autre, on peut avoir besoin d’un joueur qui soit francophone, d’un joueur avec déjà de l’expérience en Ligue 1. Plein de choses peuvent entrer en compte dans le portrait-robot du profil à recruter.

« La marque de fabrique du club, c’est qu’on est à l’aise sur le recrutement des jeunes joueurs »

Cette saison, Christophe Pélissier a aussi bien utilisé une défense à quatre qu’à trois. Dans quelle mesure le système utilisé par l’entraîneur impacte-t-il votre travail ?
Au départ, ce niveau de détail n’entre pas en compte. On a notre liste de latéraux, que ce soit des latéraux qui évoluent dans une défense à trois ou à quatre. Mais en fin de saison dernière, quand le coach nous a dit qu’il voulait repartir sur une défense à trois, on a fait un premier tri pour éliminer tous les défenseurs centraux pas à l’aise dans ce système et tous les latéraux incapables de jouer pistons.

Quels autres aspects entrent dans le portrait-robot que vous évoquez ?
On commence par classifier les aptitudes prioritaires par poste, selon les souhaits du staff. Ensuite, c’est illimité. Il y a des aptitudes techniques, physiques, tactiques, mentales… Ça peut être le vécu ou, à l’inverse, le fait de vouloir un jeune joueur qui va découvrir le championnat et qui ne va donc pas forcément prétendre à une place de titulaire au début… La gestion des statuts dans l’effectif peut entrer en compte.

Quels sont les principaux arguments pour faire signer un joueur au FC Lorient ?
La marque de fabrique du club, c’est qu’on est à l’aise sur le recrutement des jeunes joueurs. On est vu par les joueurs et leur entourage comme un club capable de développer les jeunes. C’est un argument important pour convaincre un joueur qui va rechercher une étape intermédiaire de signer à Lorient plutôt qu’ailleurs.

Est-ce que votre travail s’arrête à l’observation ou êtes-vous amené à discuter avec les joueurs ?
Je ne discute jamais avec les joueurs mais ça m’arrive de faire le premier contact avec l’entourage. Je peux faire la première discussion avec l’agent, histoire de savoir s’il y a un intérêt du joueur pour notre club. Le reste se passe avec le directeur sportif, qui gère la négociation pure et dure pour convaincre le joueur.

Y a-t-il des périodes de la saison plus intenses pour vous ? Pendant le mercato peut-être ?
Il n’y a pas vraiment de période de rush car, toute l’année, on observe un maximum de joueurs. Mais c’est sûr que lors de la période du mercato, on est davantage sollicité pour faire des arbitrages sur des joueurs qu’on a déjà observés. Ce n’est pas le même travail, ce n’est plus seulement de l’observation et de l’analyse mais de l’aide à la prise de décision. On n’a pas de pouvoir décisionnel mais on nous demande notre avis. Lors du dernier mercato hivernal par exemple, on a été sollicité. On avait beaucoup travaillé sur tous les joueurs qui ont signé. On nous a demandé s’il fallait les faire signer, pourquoi eux et pas un autre…

« Un joueur qui signe chez nous a forcément été vu par les trois recruteurs »

Comment se déroule une observation de joueur ?
Déjà, il faut faire une distinction entre les matchs qu’on va observer « à l’aveugle », sans connaître spécialement les joueurs au départ, et les matchs où l’on va voir un joueur déjà identifié. Ensuite, ça dépend du moment de la saison. En début de saison, on essaie de regarder des matchs en vidéo pour avoir les forces en présence avant d’aller observer en live. Une fois au stade, on cible les joueurs qui nous intéressent en particulier tout en gardant un œil attentif sur d’autres joueurs qui pourraient émerger.

Pouvez-vous nous parler du travail préalable que vous effectuez à la vidéo ?
Pour la France, c’est un peu différent car on tourne régulièrement sur les matchs de Ligue 2. On peut rapidement se passer le mot entre collègues si on souhaite une seconde opinion sur un joueur. A l’étranger, on essaie d’avoir vu au moins quatre fois le joueur et il faut qu’il corresponde à un besoin précis avant d’aller l’observer au stade. Là aussi, le nombre de fois où on va aller voir un joueur en live est très variable. Mais ces dernières années, c’était forcément particulier avec le covid, de nouvelles difficultés de timing, les frontières qui fermaient… L’idéal pour nous est que chacun des trois recruteurs du FC Lorient puisse observer en live une cible.

Vous parliez du covid... Ça a dû sacrément vous compliquer la tâche…
Ça, c’est sûr ! Je peux te parler de l’observation d’Andreaw Gravillon pour illustrer cela. Je vais en Italie fin février 2020 pour le voir jouer avec Ascoli, où l’Inter l’avait prêté en Serie B. J’étais devant le stade quand j’ai appris que le match avait été annulé... Il n’y avait pas encore beaucoup de cas à l’époque mais l’équipe adverse, la Cremonese, venait du Nord du pays, près d’un foyer de contaminations. C’était un des premiers matchs reportés pour cette raison. Cette anecdote résume le statut de scout en période covid (sourire).

Il faut que chaque recruteur ait donné son feu vert pour que le club se positionne sur un joueur ?
Un joueur qui signe chez nous a forcément été vu par les trois recruteurs. Dans presque 100% des cas, ce sont des joueurs qui ont plu à tout le monde mais il n’y a pas de règle. Je suppose que si un joueur a tapé dans l’œil du directeur sportif, le recrutement peut être lancé même s’il plaît un peu moins à un recruteur. Mais ce cas de figure n’est jamais arrivé depuis que je suis au club, il y a toujours eu des décisions collégiales.

« On note tout, y compris les gestes parasites »

Comment sélectionnez-vous les matchs du joueur que vous observez ?
Je me suis basé sur ce que fait Monchi à Séville. Selon sa méthodologie, il est essentiel de voir évoluer un joueur dans différents contextes : à domicile, à l’extérieur, contre un adversaire plus fort, contre un adversaire plus faible… Est-ce qu’on a affaire à un joueur qui se sublime dans les gros matchs mais peut disparaître par ailleurs ? Est-ce qu’il y a une différence de performance selon les contextes ? Si oui, pourquoi ? Surtout, on essaie de trouver des joueurs dont le niveau de performance varie le moins possible malgré des contextes différents.

Au-delà de ce qui se passe sur le terrain, à quoi êtes-vous attentif lors d’une observation ?
On regarde tout. Je n’ai pas de grille particulière mais on regarde ses interactions avec l’arbitre, avec ses coéquipiers… Quelle est sa réaction lorsqu’il fête ses buts ou lorsque ses coéquipiers marquent ? Il y a plein de petites choses que l’on ne voit pas forcément à la vidéo mais qu’on voit au stade. C’est très intéressant pour se faire une première idée sur la mentalité du joueur et sa façon de fonctionner. Ça ne suffit pas bien sûr, il faut prendre des renseignements ailleurs. On note tout ce qui peut être intéressant, y compris les gestes parasites : une engueulade avec l’arbitre, le fait d’aller fêter un but avec ses copains plutôt qu’avec ses coéquipiers, le fait de se déconcentrer parce qu’il y a des insultes venues de la tribune… Toutes ces petites choses qui peuvent altérer la performance.

Les recruteurs de certains clubs fonctionnent avec des grilles très précises pour noter les caractéristiques de chaque joueur. Comment fonctionnez-vous ?
On n’a pas de grille stricte. On fonctionne de façon plus libre avec des analyses physiques, techniques, tactiques et de la personnalité. Mais on ne s’oblige pas à évoluer chaque caractéristique ou aptitude. Il n’y a pas toujours quelque chose à dire. On parle de la globalité dans le corps du rapport. Le but est d’avoir un descriptif précis et un bilan final pour pouvoir se prononcer et savoir si on conseille d’aller sur ce joueur ou pas.

A quoi ressemble un rapport ?
Un rapport sur un joueur lors d’un match n’est pas forcément très long. Ça peut faire une dizaine de lignes. Il y a des rapports sur plusieurs matchs à la fois, qui rentrent plus dans le détail.

« Il y a plein de façons différentes d’enquêter »

Plus tôt, vous parliez de l’étude de la personnalité des joueurs...
C’est essentiel. On a toujours fait très attention à ça pour avoir le vestiaire le plus sain possible. Il y a plein de façons différentes d’enquêter. Aujourd’hui, on a la chance de pouvoir se servir des réseaux sociaux où les joueurs se dévoilent pas mal même s’ils sélectionnent ce qu’ils postent. Ça permet de se faire une première idée. Ensuite, on se renseigne auprès des coéquipiers, auprès de notre réseau avec des anciens formateurs, entraîneurs ou coéquipiers. On prend un maximum d’informations pour prendre la meilleure décision derrière. Enfin, il y a toujours une discussion entre le joueur et notre directeur sportif ainsi que l’entraîneur avant une signature.

Pouvez-vous nous parler d’une venue qui aurait capoté pour des raisons de comportement ?
Je n’ai pas vraiment d’exemples en tête car on détecte ces choses-là assez tôt. Il y a souvent des joueurs qu’on aime bien et qui ne deviennent pas des cibles à cause de ça. Ce n’est jamais arrivé qu’on en soit à un stade avancé du processus et qu’on doive tout stopper car quelque chose clochait. Ce qui nous fait tiquer le plus souvent, c’est une mauvaise hygiène de vie. Parfois, il s’agit de joueurs désagréables dans le vestiaire. Ce sont de vrais points bloquants.

Quel est le recrutement dont vous êtes le plus fier ?
Je ne vais pas parler en mon nom car chaque recrutement est le fruit d’un travail collectif. Mais un joueur comme Trevoh Chalobah, qui est arrivé à Lorient après deux saisons de Championship, se retrouve souvent titulaire cette saison avec Chelsea. C’est gratifiant. Même chose avec la super fin de saison dernière de Terem Moffi, où il était en pleine confiance et enchaînait les buts. C’est forcément agréable. Mais ce n’est pas une fierté personnelle parce que c’est un travail d’équipe. Les recruteurs, on n’est pas décideurs. Quand un joueur signe, c’est que notre direction l’a décidé. C’est parce que notre président a accepté d’investir sur ces joueurs-là. Le maintien acquis en fin de saison dernière va avoir beaucoup plus de valeur pour nous que les performances individuelles de tel ou tel joueur.

« Il y avait le risque qu’Ibrahima Koné se mette en évidence pendant la CAN »

Pour évoquer quelques cas particuliers maintenant, pouvez-vous nous raconter les coulisses de l’arrivée de Terem Moffi ?
On l’a recruté pendant l’été qui a suivi le confinement. Il avait très peu joué en Belgique car il était arrivé à Courtrai fin janvier 2020 et que le championnat s’est arrêté en mars, comme en France. Au moment où on l’a identifié à la vidéo, le championnat belge était déjà arrêté donc on n’a pas pu l’observer en live, surtout qu’on avait encore pas mal d’inconnues puisqu’on évoluait en Ligue 2 à ce moment-là. Mais nous avons pu analyser l’ensemble de ses minutes jouées, en coupe et en championnat. On a aussi pris des renseignements auprès de certains de ses coéquipiers. Tous les retours étaient extrêmement positifs et le profil correspondait à 100% au portrait-robot. Son recrutement restait un risque mais nous avons essayé de réduire au maximum les aléas.

Pendant la dernière CAN, avez-vous eu peur que les bonnes performances d’Ibrahima Koné avec le Mali fassent capoter son transfert ?
Forcément… On a commencé à le regarder la saison dernière alors qu’il ne brillait pas encore. Le premier qui m’en a parlé, c’est un twitto fan de scouting, @Mycki_ElScout. Il m’avait dit que c’était un profil à la Lukaku qui pouvait être intéressant pour nous. Ibrahima Koné n’avait marqué que 3 buts en Norvège à ce moment-là. Je le regarde et toute la cellule a rapidement validé le joueur. Le club a hésité à le faire venir dès l’été dernier en cas d’éventuels départs mais, juste avant la fin du mercato, fin août, il met un quadruplé avec Sarpsborg. Les conditions pour le faire venir évoluent alors et puis, c’était compliqué niveau timing et on avait du monde devant donc il ne signe pas finalement. On réfléchit de nouveau à l’opportunité de le faire venir au mois de janvier avec le risque qu’il se mette en évidence pendant la CAN. Ça a été le cas puisqu’il a marqué 3 buts sur pénalty et qu’il a fait de bons matchs. Mais finalement, ça a pu se faire !

Lorsque vient la dernière ligne droite pour faire signer un joueur, est-ce que vous savez avec quels clubs vous êtes en concurrence ?
On a une idée. Les agents peuvent nous le dire mais quelle est la part de vrai et de faux ? C’est toujours compliqué de savoir exactement à quel point un club est intéressé et actif pour faire signer le joueur. C’est un peu le jeu des négociations…

Entre Ibrahima Koné, Bonke Innocent et Taofeek Ismaheel (recruté avant de repartir en prêt), vous avez fait venir plusieurs joueurs en provenance des pays scandinaves cet hiver. Comment peut-on expliquer cette tendance ?
C’est un hasard. Ibrahima Koné, on le suivait donc depuis plusieurs mois en Norvège. Pour Bonke Innocent, on a eu un besoin au milieu cet hiver. On a travaillé sur plusieurs pistes mais l’avantage des joueurs nordiques, c’est qu’ils peuvent se retrouver en fin de contrat en janvier car la saison est en décalé par rapport à la France. Bonke Innocent était donc libre après son expérience à Malmö et il correspondait à tous les niveaux à ce qu’on recherchait au milieu. Quant à Taofeek Ismaheel, qu’on nous a proposé l’été dernier, le hasard fait qu’il jouait dans un club norvégien juste à côté de celui d’Ibrahima Koné. Son profil nous intéressait puisqu’il a des qualités assez rares et les conditions économiques convenaient au club. C’était une opportunité de fin de mercato. C’était intéressant de le prendre maintenant pour le prêter afin qu’il s’aguerrisse puis de le récupérer dans quelques mois.

En tant que recruteur, vous avez eu votre mot à dire concernant la formule du recrutement avant d’être prêté ?
Dans un rôle consultatif, oui. Rapidement, on était tous d’accord au club avec cette idée. C’était un joueur dont on aimait vraiment les qualités mais on n’avait pas un besoin immédiat pour ce profil. Dans l’effectif, il y avait déjà d’autres joueurs qui pouvaient lui ressembler. Mais c’est très intéressant de l’avoir dans le futur donc la meilleure solution était de le prêter en France ou en Norvège. Là-bas, il y avait pas mal de clubs intéressés et il a été prêté à Valerenga, en D1, alors qu’il venait de Fredrikstad, en D2. C’était le plus intéressant.

« Au FC Lorient, on a la chance d’avoir un data analyst »

Avez-vous une idée du nombre de matchs que vous regardez dans l’année ?
C’est compliqué ! En première partie de saison, on regarde beaucoup de matchs entiers, entre deux et trois par jour. Ensuite, on se concentre davantage sur les joueurs qu’on a repérés sur la première partie de saison. On travaille beaucoup en séquençage donc il y a moins de matchs complets, plutôt les actions d'un joueur en particulier. Mais ça reste de l’observation et des journées entières à regarder des matchs. Pour un joueur donné, on va regarder uniquement ses séquences sur 7-8 matchs.

Quels sont ces outils vidéo ?
Nous utilisons Wyscout, un prestataire qui nous permet de voir tous les matchs qui sont diffusés dans le monde entier. Les rencontres sont séquencées et nous permettent de faire un focus sur les joueurs qu’on veut. Mais on utilise d’autres outils, pour la data notamment. Au FC Lorient, on a la chance d’avoir un data analyst, François Tonnerre. Il nous aide sur le recrutement mais il travaille aussi sur d’autres sujets au club. Il nous fait des rapports data sur tous les joueurs que l’on suit. Il est également force de proposition, principalement sur les championnats étrangers. Il peut identifier des joueurs qui correspondent aux profils que l’on cherche et qui ressortent sur la data pour qu’on les observe derrière.

Y a-t-il souvent un décalage – positif ou négatif - entre les données d’un joueur et le niveau de performance réel que vous observez ?
Parfois, des joueurs ne correspondent pas visuellement à ce qu’on lisait sur les data mais ce n’est pas qu’ils ne sont pas performants. Il arrive que les data laissent penser qu’un joueur possède tel profil alors que non. Sans trop en dévoiler, on n’a pas de data précises sur certains aspects physiques. Des joueurs peuvent sembler avoir un certain profil physique et pourtant manquer d’intensité lorsqu’on les voit jouer. Il y a des postes plus compliqués à évaluer sur les data que d’autres. Mais tous les joueurs que l’on recrute sont validés par la data également.

Si vous êtes recruteur, c’est parce que vous étiez fan de Football Manager ?
J’ai beaucoup joué mais c’est parce que j’étais passionné que je jouais beaucoup ! J’étais déjà mordu, j’étais abonné à la Beaujoire avant de commencer à me mettre à Football Manager. En tout cas, ça m’a permis de passer du temps à réfléchir le foot. A côté, je regardais un maximum de matchs réels. Je ne me suis jamais contenté de ce qu’était un joueur dans le jeu. Mais c’est sûr que lorsque des joueurs avaient de super notes et que je pouvais les voir en vrai, ça me donnait envie. Mais plus j’allais voir de matchs, plus je me suis détaché du jeu car je me sentais frustré par les petites erreurs qu’il pouvait y avoir dans la base de données ! Et quand j’ai commencé à travailler dans le foot, j’ai complètement arrêté de jouer.

Avec les fantasy leagues, les NFT dans le foot ou même les paris sportifs, êtes-vous sollicité par des particuliers qui cherchent à découvrir les prochaines pépites ?
Pas vraiment ! Certains amis me demandent un conseil par ci par là pour Mon Petit Gazon mais à part ça…