Interview

Muhammed Cham : « Si tu n’as pas de haters, c'est que tu ne fais pas ce qu'il faut »

Muhammed Cham : « Si tu n’as pas de haters, c'est que tu ne fais pas ce qu'il faut »

Interview
Publié le 09/02 à 18:23 - Arnaud Di Stasio

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De nouveau titulaire après un début de saison tonitruant avec Clermont, le jeune milieu offensif international autrichien Muhammed Cham se raconte. Son parcours un temps tortueux, David Alaba, la pression des réseaux sociaux… Entretien.

Même si Clermont reste sur une défaite contre Monaco, vous avez très bien entamé 2023 avec trois victoires et deux nuls en cinq matchs. Et samedi, vous accueillez l’OM…
Une très bonne équipe ! On l’a bien vu lorsqu’on les a joués au Vélodrome fin août (1-0, but de Pape Gueye). L’OM est une équipe très physique avec de très bons joueurs, des joueurs de classe mondiale même. Ça va être un match difficile mais on a un plan pour les affronter. Si on arrive à l’appliquer samedi, on peut réussir un beau match. De manière générale, même si Marseille a beaucoup de bons joueurs, notamment dans ma zone du terrain, je ne me suis pas du genre à me faire du souci parce que je joue contre untel ou untel. Je ne fais pas attention à ça.

Pour ta première saison en Ligue 1 Uber Eats, tu as commencé très fort (trois buts lors des six premières journées et deux passes décisives lors des semaines suivantes). Est-ce que ça a été une surprise pour toi ?
Pas vraiment car je me sentais très bien au moment de la reprise du championnat. Je sortais d’une bonne préparation estivale donc je savais que j’allais pouvoir montrer de belles choses et aider l’équipe. Ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est d’être appelé si vite en équipe d’Autriche (convoqué fin septembre, il a fêté sa première sélection contre la Croatie le 25). Je savais que j’allais jouer pour mon pays un jour mais je n’aurais pas parié que ça arriverait si vite. C’est une immense joie et une immense fierté de pouvoir porter le maillot de l’Autriche.

« Il fallait que j’en fasse plus »

Tu as signé à Clermont en octobre 2020 avant d’être prêté dans la foulée à Vendsyssel (D2 danoise) puis à l’Austria Lustenau (D2 autrichienne) la saison dernière. A quel moment t’a-t-on dit que l’on comptait sur toi pour jouer à Clermont ?
Le club a toujours été clair avec moi : il fallait d’abord que je sois prêté afin de me développer et d’acquérir les armes dont j’allais avoir besoin pour jouer en Ligue 1. Clermont savait que j’avais du talent mais le talent ne suffit pas à ce niveau. Il fallait que j’en fasse plus, dans différents domaines. Dès le départ, Clermont m’a dit que je reviendrais mais mon retour n’a été officiel qu’à la fin de la saison dernière. J’étais chez moi en Allemagne lorsque le coach et le président m’ont appelé pour me dire qu’ils estimaient que j’étais prêt pour jouer avec l’équipe première.

Dans quels domaines précis devais-tu progresser pour postuler à jouer en Ligue 1 ?
Déjà, il fallait que je progresse physiquement. Il y a deux ans, lorsque j’ai été prêté pour la première fois, je venais de fêter mes 20 ans et je n’étais pas assez mature physiquement pour un championnat comme la Ligue 1 où il y a beaucoup de joueurs costauds. Il fallait aussi que je travaille devant le but pour être plus efficace. C’était mon principal problème : je faisais de bons matchs mais je ne concrétisais pas mes performances par des buts ou des passes décisives. Pour pouvoir jouer avec Clermont, il était important que je puisse être plus qu’un joueur utile dans la construction, plus qu’un joueur qui donne de bonnes passes. Il fallait que je puisse être décisif et que ça se traduise en termes de statistiques. C’est sur tout ça que j’ai travaillé lors de mes deux saisons en prêt et que je continue à travailler aujourd’hui.

On a évoqué plus tôt les chiffres de ton bon début de saison. Ensuite, à partir de la fin octobre, tu es sorti du 11 de départ pendant quelque temps avant de redevenir titulaire sur les trois derniers matchs. Comment expliques-tu cette période plus difficile ?
Je me sentais moins bien physiquement. Je me sentais fatigué après avoir beaucoup enchaîné avec Clermont et avec la sélection. Je pense aussi que ça fait partie du processus d’adaptation parce que c’est la première saison pendant laquelle je joue à un si haut niveau. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre pour être un meilleur joueur. Mais même si je ne commençais plus les matchs, je n’étais pas inquiet car je savais ce que je pouvais apporter à l’équipe. J’étais juste concentré sur le fait de revenir en forme et j’avais la chance de pouvoir compter sur le soutien du coach et de l’ensemble du club.

Pascal Gastien est un entraîneur réputé pour la façon dont il fait jouer ses équipes. Quelle est votre relation tous les deux ?
On a une bonne relation avec Pascal. Ce n’est pas le type d’entraîneur qui te parle tous les jours mais je sais qu’il aime ma façon de jouer. Je le sais car il me l’avait dit au moment de ma signature il y a un peu plus de deux ans. Et pendant l’intersaison, le coach m’a dit qu’il était heureux que je reste à Clermont et qu’on puisse enfin travailler ensemble. Moi aussi, j’étais super content car j’allais jouer en Ligue 1 et que beaucoup de jeunes joueurs aimeraient être à ma place, vivre ce rêve. Pascal m’a surtout dit de prendre du plaisir et que la saison allait être amusante.

Cet été, Pascal Gastien a déclaré que lorsque tu es revenu à Clermont, tu voulais en montrer un peu trop et que tu manquais parfois de justesse avant de réussir à simplifier ton jeu. Peux-tu nous parler de cette adaptation ?
C’est simplement que lorsque je suis revenu, je n’étais pas moi-même. A Lustenau, j’étais le joueur phare de l’équipe, je marquais beaucoup (15 buts en 29 matchs de championnat) et je voulais montrer au coach que j’étais un bon joueur. Mais je me trompais. J’étais nerveux car j’allais découvrir la Ligue 1 et que, comme toujours, j’avais pour objectif de jouer tous les matchs. A l’entraînement, je voulais montrer combien j’étais talentueux, j’en faisais trop, et, au bout de 15 jours, Pascal m’a dit : « Je sais que tu es un bon joueur, tu n’as pas besoin de me le prouver. Tu dois juste jouer ton jeu ». Cette discussion m’a libéré et, après ça, j’étais de nouveau moi-même.

« Je prenais David Alaba sur la PlayStation et là, je m’entraîne avec lui… »

Peux-tu nous raconter tes débuts en équipe d’Autriche en septembre dernier ?
C’était incroyable ! Je me suis retrouvé avec des joueurs comme David Alaba… Quelques jours avant, je le prenais dans mon équipe sur la PlayStation et là, je m’entraîne avec lui, je parle avec lui… David a beaucoup fait pour m’aider et me mettre à l’aise. Idem pour le sélectionneur Ralf Rangnick. Durant ces deux rassemblements de septembre et novembre, j’ai vraiment pris beaucoup de plaisir à évoluer avec des joueurs de ce niveau. C’était d’autant plus spécial qu’il y avait beaucoup de rumeurs qui disaient que j’allais choisir le Sénégal, le pays de mon père. Les fédérations du Sénégal et de la Gambie, le pays de ma mère, m’ont appelé mais j’ai bien réfléchi et j’étais sûr de vouloir jouer pour l’Autriche. C’est la meilleure décision pour moi, notamment car je sens que le coach va me faire progresser.

Que t’a dit Ralf Rangnick précisément ?
Il m’a dit de me faire plaisir, que c’était quelque chose de grand de représenter son pays. J’avais déjà joué pour les U19 et les U21 de l’Autriche mais l’équipe première, c’est autre chose… Quand je suis arrivé au premier rassemblement, j’étais un peu stressé mais Ralf m’a dit la même chose que Pascal Gastien : « Sois toi-même ». Et les joueurs ont été très cool avec moi donc ça a facilité mon adaptation.

Tout à l’heure, tu as parlé de certains échanges avec David Alaba…
Il m’a dit qu’il était content que je sois en sélection et que si j’avais besoin de quelque chose, il ne fallait pas que j’hésite à aller le voir. Désormais, on plaisante tous les deux. Ah oui, quand il m’a souhaité la bienvenue, il m’a aussi dit qu’il m’avait déjà vu jouer.

David Alaba regarde donc les matchs du Clermont Foot !
Je ne suis pas sûr (rires). Je ne sais pas s’il regarde Clermont, je pense plutôt qu’il a vu certains de mes matchs avec les Espoirs autrichiens (rires) !

En équipe d’Autriche, il y a un autre joueur bien connu des suiveurs de la Ligue 1 : le défenseur lensois Kevin Danso…
C’est quelqu’un qui a une certaine réputation en Autriche car c’est un défenseur qui a débuté très tôt en sélection. Je savais qui c’était même si je n’avais jamais joué avec lui. Kevin est l’un des joueurs avec qui j’ai passé le plus de temps en sélection, c’est un ami désormais.

Pour revenir sur tes jeunes années, tu es né en Autriche mais c’est en Allemagne que tu as été formé…
Oui, j’ai déménagé en Allemagne, à Hanovre, à l’âge de cinq ans. Mon père vivait déjà là-bas mais jusqu’alors, j’étais en Autriche avec ma mère et mon oncle. Rejoindre mon père en Allemagne avec ma mère et mon frère n’était qu’une question de temps. Un peu plus tard, j’ai commencé à jouer pour Hanovre 96, le gros club de la ville. J’étais capitaine en plus donc c’était vraiment super mais, à 15-16 ans, j’ai eu l’opportunité de partir pour Wolfsburg, un plus gros club. Je suis parti là-bas et ça s’est très bien passé pour moi. A 17-18 ans, j’avais la chance de m’entraîner avec l’équipe première et des joueurs comme Wout Weghorst ou Paul-Georges Ntep.

« J’ai d’abord vu ça comme un retour en arrière »

Après Wolfsburg, tu es reparti dans ton pays de naissance. Lorsque tu signes à Clermont en octobre 2020, tu arrives ainsi de l’Admira Wecker, où tu jouais en D1 autrichienne. Pourtant, tu termines la saison prêté en D2 danoise, ce qu’on pourrait voir de loin comme un retour en arrière. Pourquoi ce choix ?
Moi aussi, j’ai d’abord vu ça comme un retour en arrière mais je savais que je reculais pour mieux sauter. Bien sûr, quand tu es jeune, tu veux jouer dans un gros club, tu veux te montrer aux yeux du monde. Mais c’était un moment durant lequel il fallait que je travaille dur, que je fasse abstraction de la hype et de ce qui pouvait se dire sur les réseaux sociaux… Et pour être honnête, si tu prends les joueurs les plus prometteurs d’une génération, combien auront la chance de débuter leur carrière dans un des cinq grands championnats ? Je savais que ça allait être difficile mais je savais aussi qu’en travaillant dur et en croyant en moi, j’avais les capacités d’aller loin.

Il y a beaucoup de pays différents dans ton parcours et ton histoire personnelle : l’Autriche, l’Allemagne, le Danemark, la France et la Bosnie…
(Il coupe) Je ne suis pas du tout bosnien (rires). Je sais qu’il est écrit à plusieurs endroits que j’ai des origines bosniennes mais non. Je porte le nom de mon père, Cham. Ma mère s’appelle Saračević mais elle est gambienne. Je ne sais pas d’où ça vient, je ne lui ai jamais demandé !

Tu évoquais tout à l’heure les réseaux sociaux et la pression qui pouvait en découler, notamment pour les jeunes joueurs. Comment composes-tu avec cet élément ?
Ça représente une pression supplémentaire, c’est sûr. Si tu fais un bon match, tout le monde t’adore mais, si tu rates un match, tout le monde te descend. C’est comme ça, c’est la vie… Ma mère m’a toujours dit : « Si tu n’as pas de haters, c’est que tu ne fais pas les choses comme il faut, c’est que tu fais quelque chose mal ». Je ne me mets pas la pression, je sais ce que je peux apporter à mon équipe. C’est bon signe si on parle beaucoup de toi. Heureusement pour moi, c’est souvent en positif, ça veut dire que je suis sur la bonne voie.