Interview

Stade Rennais : Dans les coulisses du métier d'intendant

Stade Rennais : Dans les coulisses du métier d'intendant

Interview
Publié le 24/05 à 10:14 - Arnaud Di Stasio

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Le métier d’intendant, son parcours, les superstitions de Gouiri, Bourigeaud ou Terrier, les imprévus les soirs de match… Entretien avec Yoann Renaud, qui boucle sa 18e saison avec le Stade Rennais.

Quelle est votre histoire personnelle avec le Stade Rennais ?
Déjà, je suis né à Rennes et, ensuite, mon père est intendant au Stade Rennais depuis 1979 ! Quelques années plus tard, en 1988, quand j’avais deux ans, mon père est devenu le gardien du Stade de la Route de Lorient donc j’habitais dans le stade et je voyais les matchs de la fenêtre de ma chambre ! Le logement se trouvait dans un virage du stade. Comme mon père était intendant, je passais mes week-ends au stade, à courir dans les tribunes, dans les vestiaires… Je suis donc tombé dedans tout petit et c’est le club que je supporte depuis toujours !

Comment vous êtes-vous retrouvé intendant au Stade Rennais ?
J’ai commencé par un remplacement lors de l’été 2004. Il y a souvent besoin de renfort à cette période-là avec les congés des uns et des autres. Derrière, j’ai fait mon année de terminale et j’ai eu mon bac. Je comptais m’inscrire en BTS mais le club cherchait quelqu’un car il y avait eu un départ. Je suis retourné bosser comme intendant, d’abord pour les deux mois d’été, puis j’ai été prolongé jusqu’à la fin de la saison et… aujourd’hui, 18 ans plus tard, j’y suis toujours !

Vous savez si vous êtes les seuls père et fils à travailler ensemble comme intendants d’un club professionnel français ?
C’est aussi le cas à Sochaux depuis peu mais sinon, je crois qu’on est les seuls. L’avantage, c’est qu’on se connaît bien, qu’on peut s’arranger pour les plannings, mais à l’inverse, ça peut être compliqué lorsqu’il y a un repas de famille. L’un de nous deux doit forcément travailler. Il y a eu une exception tout de même : le jour de mon mariage, on jouait à Marseille et ce sont les team managers qui se sont occupés de l’intendance du match pour que mon père puisse venir !

En famille, vous devez parler du Stade Rennais en permanence, non ?
Ma mère nous l’interdit ! Chez mes parents, on n’a pas le droit de parler boulot ou foot avec mon père et mes frères. Enfin, ça, c’est la règle, parce qu’on finit souvent par en venir à parler du Stade Rennais !

« On n’hésite pas à blaguer avec les joueurs »

Quelle est votre définition du métier d’intendant ?
Être au service des joueurs. On est là pour faire en sorte que les joueurs ne pensent qu’au terrain. Il ne faut pas qu’ils se demandent s’ils vont bien avoir leurs chaussettes ou leurs chaussures, si les crampons sont bien serrés… Un intendant est là pour rendre service, en restant à sa place. On ne doit pas se prendre pour des entraîneurs ou des kinés, donner des conseils aux joueurs, sauf s’ils viennent nous chercher bien sûr.

Au quotidien, comment s’organise votre équipe ?
Nous sommes deux intendants à Rennes. Avec mon père, on touche à tout même si je m’occupe davantage de tout ce qui est saisie informatique. La saison commence par la commande des équipements avec les teams managers. On réceptionne, on floque puis on range. Ensuite, on s’occupe de laver les équipements, tout le textile et les chaussures qui ont été utilisés, et de les ranger à nouveau. On se charge des équipements de A à Z.

Quelle part occupe l’aspect humain dans votre métier ?
Il nous arrive d’échanger avec les joueurs sur leur vie de tous les jours. On parle entre jeunes papas car, moi aussi, j’ai des enfants en bas âge. On peut échanger des conseils et on parle du hors foot, de la vie « normale ». On n’hésite pas à blaguer avec les joueurs ou à les chambrer, gentiment bien sûr.

Jouez-vous parfois un rôle de confident pour des joueurs qui traversent une mauvaise période ?
Ça peut arriver. Les joueurs aiment traîner avec nous pour boire un petit café ou décompresser. A table aussi, on discute parfois ensemble, que ça tourne autour des équipements ou de discussions sur un peu tout et rien.

« 4 500 maillots rien que pour les professionnels »

A quoi ressemble une semaine type ?
Après un match, il faut laver et ranger tous les équipements qui ont servi, ce qui prend une bonne demi-journée. On s’occupe aussi des tenues de l’académie. Le reste du temps, il y a beaucoup de flocage. On floque quasiment tous les jours, en essayant d’avoir toujours deux matchs d’avance. A J-2 du match suivant, on prépare les malles d’équipements, qu’on fait partir dans le car pour les matchs à l’extérieur.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le flocage ?
Chaque joueur de champ a deux maillots par match, les gardiens en ont quatre car on doit préparer deux couleurs au cas où. Au total, ça fait donc une cinquantaine de maillots. A Rennes, les joueurs gardent – ou plutôt offrent – presque tous leurs maillots. Sur la cinquantaine de maillots qu’on prépare, on doit en récupérer 3-4 à la fin donc il faut floquer de nouveaux maillots pour chaque match ! Et, en avant-saison, on reçoit tous les maillots pour l’année vers le 20 juin. Il y a une quinzaine de palettes de textile à ranger, par catégorie d’âge, par couleur… Chez nous, tout arrive vierge.

C’est-à-dire ?
On doit tout floquer : les sponsors, les initiales des joueurs ou du staff, les numéros, les noms… Avec parfois des sessions en dernière minute quand un joueur choisit son numéro sur le tard ou qu’il y a des recrues en fin de mercato. En tout et pour tout, ça prend environ cinq minutes de s’occuper d’un maillot, entre le moment où on va le chercher et le moment où il est prêt. Cette saison, on a par exemple 5 sponsors devant et sur les manches, le badge de la LFP, le nom, le numéro et une dernière publicité en bas du dos.

Combien y a-t-il de commandes de maillots par saison ?
Une seule. On reçoit tout d’un coup en juin. Ça représente 4 500 maillots rien que pour les professionnels. On table sur 50-55 matchs, on prévoit large. Et comme je l’ai signalé plus tôt, il y a besoin de davantage de maillots pour les gardiens, qui auront par exemple trois couleurs différentes la saison prochaine.

Quelles sont les règles quand les joueurs offrent leurs maillots de match ?
Chez nous, les joueurs ont donc deux maillots par match. Quand on gagne, le club leur en offre un et ils paient le deuxième s’ils souhaitent le garder ou l’offrir. Les joueurs sont généralement très généreux. Ça arrive que certains me demandent des maillots supplémentaires car ils sont venus à bout de leur quota avant la fin de la saison tellement ils ont de demandes. Il y a aussi des règles spéciales : un joueur qui enchaîne les buts va essayer de garder le même maillot alors qu’à l’inverse, un joueur qui se troue va vouloir se débarrasser de son maillot plus vite ! Dans le même genre, je me souviens de Peter Hansson qui avait mis ses chaussures à la poubelle après la finale de Coupe de France perdue en 2009.

« Il fallait aider Sylvain Armand à retirer son alliance »

A quoi ressemble un jour de match au Roazhon Park ?
Après avoir passé une bonne heure et demie sur la préparation la veille du match, on arrive au stade le matin vers 9-10 heures. Il y a encore deux heures de préparation pour disposer les maillots, les chaussures et tout le reste dans le vestiaire. Je reviens ensuite au stade une heure avant l’arrivée des joueurs pour terminer la préparation du vestiaire, m’occuper des ballons, du matériel pour les délégués et les arbitres, comme les bombes de peinture par exemple.

Et en déplacement ?
Si on joue loin, le car part deux jours avant le match. Si on joue un dimanche, on va donc préparer toutes les malles le jeudi pour les charger le vendredi matin. Tout ça arrive au stade quatre ou cinq heures avant le coup d’envoi, histoire que tout soit carré lorsque les joueurs seront là.

Et ensuite, que se passe-t-il pendant le match ?
Chez nous, les joueurs arrivent sur la pelouse avec une veste de présentation qu’il va falloir récupérer et aller ranger dans le vestiaire. Je fais un petit tour pour ramasser ce qui pourrait traîner. Je vérifie ensuite que les remplaçants ont bien pris leurs maillots, leurs chasubles et leurs parkas car les oublis arrivent de temps en temps. Après, moi, je suis le match depuis un banc additionnel, situé derrière ou à côté du banc du staff et des remplaçants. Un peu avant la mi-temps, il faut aller au vestiaire vérifier que tout est bon. En deuxième période, je commence à ranger dans les malles tout ce qui ne servira plus, ce qui prend 15-20 minutes et me fait rater beaucoup de buts en général (rires) !

Ça peut arriver d’avoir à gérer des imprévus ?
On a des joueurs qui s’aperçoivent pendant l’échauffement qu’ils préféreraient d’autres chaussures donc il faut faire un aller-retour express jusqu’au vestiaire. C’est déjà arrivé qu’il y ait des oublis de maillots. Parfois, il a fallu floquer un short au fer à repasser au dernier moment car de l’huile jaune avait été renversée sur un short blanc. En dehors de ça… Ah si, à l’époque, il fallait aider Sylvain Armand à retirer son alliance car elle était particulièrement difficile à enlever et, comme il voulait s’échauffer avec, il y avait toujours un petit suspense juste avant le début du match !

« Bruno Génésio ne veut pas de marqueur vert ! »

Vous avez pu observer certaines superstitions chez les coachs du Stade Rennais ?
Je ne crois pas que ce soit une superstition mais Bruno Génésio ne veut pas de marqueur vert car ça lui évoque Saint-Etienne ! Pareil pour les vêtements, le vert n’est pas vraiment le bienvenu ! Sinon, lors de mes premières années au club, László Bölöni prenait toujours une douche au moment de l’échauffement. Rolland Courbis avait, lui, toujours besoin d’un petit café.

Quels sont vos souvenirs de match les plus marquants ?
Le premier match que j’ai fait, c’était au Vélodrome et je me souviens encore de Franck Ribéry, de la vitesse de ses jambes ! Même chose à Rennes avec Ousmane Dembélé et Ismaïla Sarr. Entre la tribune et le bord de la pelouse, il y a une grosse différence sur la perception de la vitesse ou même de la taille des joueurs. Quand j’ai croisé Gianluigi Donnarumma au Parc, j’avais l’impression qu’il mesurait 3 mètres !

Et votre meilleur souvenir ?
La victoire en Coupe de France en 2019 ! Personnellement, c’était ma 4e et on avait perdu les trois premières. On pourra difficilement faire mieux puisqu’on était menés 2 à 0, qu’on a réussi à revenir au score avant de l’emporter aux tirs au but… C’était incroyable !

« Jirès Kembo-Ekoko a dû s’échauffer avec les chaussures du doc »

A quelles situations originales avez-vous dû faire face ?
Je me souviens qu’à Chaban-Delmas, à Bordeaux, il y avait un tunnel immense entre le vestiaire et le terrain. Stéphane Mbia me demande d’aller lui chercher une paire de crampons pour l’échauffement. J’y vais, je ramène celles dont il ne voulait plus et je lui apporte celles qu’il m’avait demandées. Mais à la fin de l’échauffement, il me redemande sa première paire…

Et avez-vous des anecdotes de débrouille en tête ?
Au-delà des changements de crampons en dernière minute, il m’est arrivé de devoir recoller des chaussures à la glu. Il a parfois fallu fabriquer des protège-tibias avec le carton d’un pack d’eau, soit parce qu’il y a eu des oublis, soit par choix. Jérôme Leroy faisait ça pour que les arbitres croient qu’il avait des protège-tibias au moment du contrôle des équipements ! A domicile, on a un vélo au stade qui nous permet de filer au centre d’entraînement pour réparer un oubli. Ce sont les joueurs qui doivent mettre leurs chaussures dans une malle après le dernier entraînement donc c’est déjà arrivé qu’il y ait des oublis. Je me rappelle qu’une fois, Jirès Kembo-Ekoko a dû s’échauffer avec les chaussures du doc de l’époque !

Les joueurs rennais ont-ils des rituels et des superstitions qui entraînent des demandes spécifiques ?
Il y a les caleçons fétiches… Celui d’Olivier Monterrubio ou celui de Romain Danzé, qui devait avoir 22 trous mais il lui fallait toujours le même depuis le centre de formation. Certains joueurs comme Amine Gouiri ou Martin Terrier aiment qu’on leur vérifie les crampons une dernière fois juste avant le match, même s’ils ont été vérifiés en amont. Il faut également découper toutes les étiquettes des équipements de Martin. D’autres joueurs souhaitent que ce soit moi qui découpe leurs chaussettes, comme Benjamin Bourigeaud, Hamari Traoré, Doğan Alemdar… Il y en a aussi qui prennent toujours une petite boisson booster à la caféine ou un chewing-gum.

« Camavinga et Raphinha nous ont envoyé des maillots »

Quels joueurs vous ont le plus marqué ?
Comme je suis au club depuis tout petit, quand je suis arrivé au contact du groupe pro, il y avait des stars comme Alexander Frei, Olivier Monterrubio, Kim Källström, Yoann Gourcuff… Moi, j’étais tout timide ! Pareil avec Sylvain Wiltord qui était un joueur que j’adorais, enfant, et qui est revenu au club à la fin des années 2000. Au-delà de ce côté star, il y a des joueurs qui m’ont marqué par leur gentillesse. Par exemple, un soir, j’étais au restaurant à Rennes et quand je demande l’addition, on me dit que quelqu’un a payé pour moi. C’était Alex Frei, qui était là également mais que je n’avais pas vu !

Et parmi les joueurs plus récents ?
Je suis encore en contact avec Benoît Costil, Sanjin Prcić ou Adrien Hunou par exemple. Eduardo Camavinga et Raphinha sont aussi des chouettes gars qui nous ont envoyé des maillots lorsqu’ils sont partis de Rennes. On a souvent des petits cadeaux, des petites attentions, d’anciens du club. Ça a été le cas avec Damien Da Silva et Clément Grenier dernièrement. Parfois, ils nous offrent leurs maillots. Je dois en avoir une vingtaine chez moi, ceux de Jimmy Briand, Yoann Gourcuff ou celui de Petr Čech, qu’on avait affronté quand il était à Arsenal. Le jour où j’ai commencé au Stade Rennais, lui partait, on ne s’était donc croisé qu’une fois !

Entre votre arrivée au club et aujourd’hui, il y a presque 20 ans. Qu’est-ce qui a évolué dans votre façon de travailler avec les joueurs ?
Plus ça va, plus on floque ! A mes débuts, les joueurs gardaient moins les maillots. La qualité des équipements a bien progressé aussi. A l’époque, on n’avait que deux tailles. Je revois Etienne Didot obligé de replier ses manches. Maintenant, on a une multitude d’équipements : les sous-maillots, les collants, les pantacourts, les pantalons trois quarts… On a aussi changé de génération. Quand j’ai commencé, Internet n’était pas aussi présent.

 

INTENDANT DU STADE RENNAIS EN CHIFFRES :

- 300 ballons par saison
- 40 ballons par match (15 pour chaque équipe et 10 pour la rencontre)
- 4 500 maillots commandés par saison
- 50 jeux de maillots emmenés par match officiel
- 22 malles de 35 kg chacune et une dizaine de sacs pour emmener le matériel nécessaire pour un match
- 2 heures pour disposer le vestiaire avant un match (sans compter les préparatifs en amont)