Grejohn Kyei (Clermont Foot 63).
Interview

Grejohn Kyei : « Je ne connaissais rien du rôle d’attaquant »

Grejohn Kyei : « Je ne connaissais rien du rôle d’attaquant »

Interview
Publié le 31/05 à 11:17 - NM

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A 27 ans, le Clermontois Grejohn Kyei boucle sa saison de référence en Ligue 1 Uber Eats. Sa bonne passe, sa relation avec Pascal Gastien, son passage au Stade de Reims, son ancienne étiquette de joueur prometteur ou encore sa quête d’efficacité, le numéro 95 du CF63 n’élude aucun sujet.

Vous comptez six buts et une passe décisive lors de vos neuf derniers matchs. Comment expliquez-vous votre retour au premier plan ?
C’est la récompense de tout le travail que j’ai effectué depuis le début de la saison. Ça a pris un peu de temps à se concrétiser mais c’est en train de payer. Je pense que lors de la trêve de mars, j’ai eu un petit déclic alors que mes premiers mois n’ont pas été simples.

En effet, à la suite de votre recrutement en janvier 2022, vous avez dû attendre jusqu’en octobre pour inscrire votre premier but. Comment avez-vous vécu cette période ?
C’était agaçant. Quand tu es attaquant, c’est ton boulot de marquer des buts. Mais je n’étais pas plus inquiet que ça car je me procurais toujours des occasions. Ça aurait été plus compliqué si ça n’avait pas été le cas. Je travaillais au quotidien pour essayer de retrouver mon efficacité. J’essayais de jouer libéré et de ne pas penser qu’au but car, sinon, j’aurais commencé à déjouer. C’était une période difficile mais je ne l’ai pas mal vécue.

Par la suite, vous n’avez pas réussi à enchaîner. Étiez-vous déçu ?
Oui et non. J’avais ouvert mon compteur, donc forcément j’espérais enchaîner, puis je me suis retrouvé à ne plus marquer pendant sept journées (de la J11 à la J17). Je tirais sur le gardien, je ne cadrais pas… Je me disais : « Ce n’est pas possible. Je ne peux pas faire que ça, il faut que ça change. » Après, j’ai retrouvé le chemin des filets contre Rennes, puis on a enchaîné les matchs contre des équipes de tête et j’ai traversé une nouvelle période sans but (de la J19 à la J28). J’avais moins d’occasions et j’ai aussi eu un but refusé contre l’OM... Puis cette fameuse trêve de mars est arrivée. J’ai fait un point. Je me suis dit qu’il fallait que je garde en tête ce que j’avais fait de bien pour rester dans le positif, oublier ces petites rechutes, et j’ai commencé à enchaîner.

« Pascal Gastien ne m’a jamais laissé tomber »

Quel rôle a joué Pascal Gastien dans ce retour au premier plan ?
Il me donne de la confiance avec son staff. Il prend le temps de chercher des explications à la manière dont je gère certaines situations. Depuis que je suis arrivé, il a toujours été derrière moi, il ne m’a jamais laissé tomber. Je n’ai pas besoin qu’un coach me montre de l’affection, mais quand ça ne va pas, j’ai besoin d’être rassuré et de savoir qu’il compte sur moi. Si on commence à me mettre de côté ou qu’on ne me parle pas, je vais être frustré et me poser des questions. Est-ce que je fais les choses bien ? Qu’est-ce qu’il pense de moi ? C’est difficile quand un coach ne dit rien mais ce n’est pas le cas de Pascal Gastien.

Quel rôle vous demande-t-il d’occuper sur le front de l’attaque ?
J’essaie d’aider l’équipe quand on n’a pas le ballon. Quand on le récupère, je dois être disponible pour rapidement toucher un coéquipier ou le conserver. Ensuite, quand on attaque, j’essaie d’aller en profondeur ou de décrocher pour aider l’équipe. C’est ce que veut le coach. Je joue un rôle important dans la création des actions. Je ne suis pas uniquement focalisé sur le but, je dois me rendre disponible dans le jeu.

Vous sentez-vous prêt à vous inscrire dans la lignée des attaquants à succès du Clermont Foot ?
Bien sûr ! Quand le club m’a contacté, j’ai regardé un peu son historique : Gaëtan Laborde, Ludovic Ajorque, Mohamed Bayo, Florian Ayé... Et j’ai justement joué avec un très bon ami de Florian Ayé, au Servette, Moussa Diallo, et j’ai échangé avec lui sur ce sujet. Il m’a dit : « Là-bas, les attaquants marquent beaucoup ! » Je me suis dit que ça ne pouvait qu’être bon pour moi et que c’était le bon moment et le bon endroit pour revenir en France. Et ça se vérifie aujourd’hui puisque je réalise ma meilleure saison en France. L’année prochaine, j’espère faire mieux et continuer sur ma lancée.

« Les coachs de Reims n’ont jamais su que je n’étais pas attaquant »

Pour évoquer votre parcours, contrairement à beaucoup de joueurs qui reculent pour exploser, vous êtes passé de milieu de terrain à attaquant. Quelle est la genèse de ce choix ?
J’ai même commencé au poste de défenseur central avant d’avancer au fil des saisons. Ensuite, j’ai joué six et huit et je me projetais beaucoup vers l’avant. J’ai fait plein d’essais à ces postes mais ils n’ont jamais été concluants. Mon coach de Villiers-le-Bel m’a alors dit que, comme j’aimais bien me projeter, j'allais faire un essai en attaque. Donc, je suis allé faire un essai à Meaux où je me suis inscrit en tant qu’attaquant alors que je n’avais jamais joué à ce poste. L’essai s’est bien passé, j’ai marqué des buts comme si j’étais attaquant (rires). Le coach des U17 et le directeur du centre de formation ont apprécié mon profil, je suis allé faire un stage à Reims et j’ai été pris. Comme quoi, il ne faut jamais abandonner (rires).

Vous avez donc dû apprendre le rôle d’attaquant sur le tas lors de votre arrivée au centre de formation du Stade de Reims ?
Avant d’arriver, je ne connaissais rien du rôle d’attaquant. Ma première année a été compliquée, je suis passé de deux à sept entraînements par semaine et je devais jouer attaquant alors que je ne l’étais pas… Je me suis retrouvé à mettre deux buts dans la saison et j’ai failli me faire virer. J’étais souvent trop bas sur le terrain, je n’étais pas assez présent devant le but et ça posait problème. L’année suivante, je me suis accroché, puis j’ai commencé à mieux me sentir à ce poste. Mais les coachs n’ont jamais su que ce n’était pas mon poste. Je le gardais pour moi (rires). Et ça m’a servi parce que je pense que sans cela, je ne serais jamais devenu pro.

Qu’est-ce que vos qualités de milieu de terrain vous ont apporté en tant qu’attaquant et, à l’inverse, en quoi vous ont-elles porté préjudice ?
Je pense que ça m’a aidé dans la conservation des ballons et la vision du jeu. Il m’arrive d’adopter un comportement de milieu de terrain dans certaines situations. C’est pour cela que je vais parfois aider les joueurs au milieu. Je pense que je participe un peu plus au jeu qu’un joueur qui a toujours été attaquant. A l’inverse, si aujourd’hui je ne marque pas beaucoup, c’est parce que je ne suis pas assez tueur. Par exemple, contre Auxerre, j’ai une occasion que je ne dois pas rater. J’ai fait une mauvaise frappe alors que pour beaucoup d’attaquants, dans ce type de situation, ça fait ficelle. C’est quelque chose que j’ai du mal à gommer. Bien sûr, je me suis amélioré par rapport à avant, mais je pense que ça me fait encore défaut aujourd’hui.

« La Suisse ? Ça m’a fait un bien fou »

Une étiquette d’espoir vous a longtemps collé à la peau au Stade de Reims. Comment viviez-vous cela ?
Je n’y pensais pas vraiment. J’avais envie de confirmer ce statut mais on va dire que tout ne s’est pas passé comme les gens l’imaginaient. Quand j’ai fait le choix de partir en Suisse, c’était justement pour me défaire de cette étiquette. Là-bas, personne ne me connaissait, j’arrivais comme un nouveau joueur. Je devais faire mes preuves mais j’avais moins de pression par rapport à mes expériences précédentes car, même lorsque je ne jouais pas forcément à Reims ou lors de mon prêt au RC Lens, on parlait de moi. Ça m’a forgé.

D’où venait cette étiquette ?
Avec les jeunes, les choses se passaient bien. J’avais participé à l’épopée jusqu’en finale de Gambardella, ça a dû jouer. En plus, dès que j’ai commencé à jouer en pro, j’ai marqué assez vite contre Rennes et le Paris Saint-Germain. Donc, tout est allé vite, on a vite parlé de moi. L’année suivante, j’ai encore bien débuté et je me suis retrouvé en équipe de France Espoirs. Tout ça a conduit à ce que j’aie cette étiquette.

Vous avez évoqué votre départ en Suisse. Pouvez-vous nous dire en quoi votre passage au Servette vous a permis de vous libérer ?
Ça m’a fait du bien en termes de temps de jeu, d’automatismes, de rythme, de confiance, de joie de marquer, de plaisir… Avant cela, je n’avais en réalité disputé qu’une saison à plus de 20 matchs pleins, avec Michel Der Zakarian au Stade de Reims en Ligue 2 BKT. Donc, aller en Suisse, ça m’a fait un bien fou. En plus, à 24 ans, j’arrivais à un tournant de ma carrière. Mais j’ai réussi à me relancer. J’étais dans mon cocon et je pouvais travailler sereinement pour essayer de revenir dans le bain.

« Je n’ai pas réussi à avoir de déclic au Stade de Reims »

Vous avez pu y découvrir pleinement le poste d’attaquant ?
En quelque sorte ! J’ai appris à savoir gérer les matchs, à être un peu plus finisseur, et donc à me découvrir vraiment en tant qu’attaquant. Je le répète : comme je n’avais jamais réellement réalisé de saison pleine, je n’avais pas de références sur lesquelles me baser. J’ai aussi vu que lorsque tu marques, tu es le héros et que lorsque tu ne marques pas, tout est de ta faute. Ça m’a aussi forgé sur ça. Puis, le championnat est moins médiatisé, donc tu fais moins attention aux réseaux. On t’identifie moins, on te critique moins, et ça te permet d’être plus libéré.

Ce que vous n’aviez pas réussi à être au Stade de Reims…
Malgré mes nombreuses saisons au club, je n’ai pas réussi à avoir de déclic. Même lorsque je me suis retrouvé sous les ordres de David Guion, mon ancien coach en CFA, je n’ai pas eu le déclic que j’aurais dû avoir. Et je sais que c’est aussi un regret pour le coach de ne pas avoir réussi à me faire exploser. Peut-être qu’à un moment donné, je m’étais aussi renfermé sur moi-même. L’année où on a été relégué en Ligue 2, j’aurais pu partir du club, ça ne s’est pas fait et je l’ai mal pris. Le club voulait que je les aide à remonter, je ne vais pas dire que je n’étais pas du même avis, mais je voulais continuer ma progression. En tant qu’enfant du club, je pensais que les dirigeants allaient me laisser m’aguerrir ailleurs. J’ai eu du mal à l’accepter et je l’ai mal pris pendant longtemps. Je suis resté bloqué sur ce passage.

La deuxième saison du Stade de Reims en Ligue 2 BKT avait pourtant permis à plusieurs jeunes du club comme Rémi Oudin ou Jordan Siebatcheu de s’imposer avec David Guion. Vous n’aviez pas envie de les imiter ?
Le problème, c’est que j’étais là sans être là. Je ne sais pas comment l’expliquer. Même avec le coach, ça ne se passait pas comme on l’aurait voulu. C’était différent par rapport à l'époque du  centre de formation. Je n’étais plus le petit. Le coach devait avoir des résultats et il ne pouvait pas attendre que j’aie un déclic. Si l’équipe gagne sans toi, tu vas rester sur le côté. Mais je n’arrivais pas à le comprendre. J’étais jeune et têtu. Résultat : les autres avançaient et, moi, je stagnais. J’aurais préféré faire partie de l’aventure... (Il se reprend.) J’en ai fait partie mais pas à 100%. Pourtant, l’ensemble du club a tout fait pour me remobiliser et que je réussisse, mais ça ne l’a pas fait… Au bout d’un moment, j’ai senti que j’avais vraiment besoin de changer d’air et de tout quitter pour relancer ma carrière.

« Lens ? C’est le club où j’ai eu le plus d’émotions »

Votre but face à l’AC Ajaccio, qui avait offert la montée en Ligue 1 Uber Eats au Stade de Reims, est-il tout de même votre meilleur souvenir à ce jour ?
Je dirais plutôt que c’est notre épopée en Coupe Gambardella. C’était une belle aventure entre copains, ça m’a marqué. Après, d’un point de vue plus global, le RC Lens, c’était pas mal (sourire)... On avait un public énorme en Ligue 2 BKT. Je me souviens que lors du play-off sur la pelouse du Paris FC, c'est comme si on était à domicile. C’est un club différent. Que ça gagne ou que ça perde, les supporters sont toujours derrière l’équipe. En plus, on a failli monter, on n’était qu’à quelques buts d'atteindre cet objectif… Je pense que c’est le club où j’ai eu le plus d’émotions. C’est dommage de ne pas avoir réussi à passer un cap là-bas.

Pour revenir à votre belle fin de saison, sur quels points devez-vous encore progresser ? Pascal Gastien dit que vous avez encore un palier à franchir en termes d’efficacité...
Je le rejoins totalement ! Je vais reparler de mon action face à Auxerre mais elle reflète en grande partie mon manque de tranchant dans le dernier geste. Je vais faire de bonnes choses en amont mais quand arrive le dernier geste, il me manque encore quelque chose. Un autre exemple me vient en tête. A Nice, je fais une belle action mais je tire sur le poteau. Je dois vraiment franchir un cap sur ce point. Je travaille tous les jours pour, j’essaie de regarder le comportement des autres attaquants, mais c’est aussi un aspect mental.

Comment travaillez-vous pour améliorer votre efficacité ?
A chaque occasion à l’entraînement, j’essaie de faire le meilleur choix. Mais le problème, c’est que je me pose parfois trop de questions. Par exemple, je vais tellement vouloir mettre le ballon dans un coin que je vais tirer à côté alors que, souvent, je devrais juste cadrer. Je pense trop à faire le geste juste alors que parfois, être moins académique est tout aussi efficace. J’ai conscience que, dans certaines situations, si je cadre, je marque, mais j’ai tendance à me compliquer la tâche…

« J’essaie de ne plus trop me poser de questions devant le but »

Vous en parlez avec le coach ?
Pas vraiment. Mais ces derniers temps, j’essaie de faire abstraction de tout et de ne plus trop me poser de questions devant le but. Je ne me dis plus : « Est-ce que je la mets là ? » Je regarde le gardien et je vise un endroit qui me semble idéal. Après, j’ai échangé avec le coach sur la surface du pied à utiliser devant le but et j’ai fait évoluer ma manière de frapper. Je tire moins du cou-de-pied, j’utilise plus l’intérieur du pied pour encore plus cadrer. Aujourd’hui, un attaquant à dix buts, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. On le voit en Ligue 1 Uber Eats, pas mal d’attaquants sont à plus de 15 buts : Openda, Lacazette, Mbappé, Wahi, Balogun… Et je me dis : « Pourquoi pas moi ? » A l’avenir, j’ai envie de m’inscrire dans cette liste. Je n’ai que 27 ans, ce n’est pas trop tard !

Mais le but constitue-t-il une obsession chez vous ?
Non… Je suis partagé car le fait de ne penser qu’à ça ne fait pas plus marquer et, surtout, conduit à faire les mauvais choix. Le plus important, c’est d’aider l’équipe dans le jeu et d’être bien placé pour terminer les actions. Après, c’est à moi de savoir faire les bons gestes au bon moment ! Je sais qu’à chaque match, je vais avoir des occasions. Si j’en ai une, il faut que je fasse le bon geste. Si j’en ai quatre, il faut aussi savoir le faire à chaque fois.

Essayez-vous de vous fixer des défis à l’entraînement pour vous améliorer sur ce point ?
Il m’arrive de faire des challenges avec d’autres joueurs lors des séances. Le plus souvent, c’est avec Muhammed Cham. Comme on s’entend très bien, on a mis quelque chose en place à chaque séance devant le but. Celui qui marque moins doit payer quelque chose à l’autre. Et je gagne souvent ! Mais il a une très bonne technique de frappe. On a aussi longtemps été au coude à coude pour être le meilleur buteur du club et j’avais à cœur de le dépasser (sourire). Ça peut m’arriver de faire aussi des défis avec Jérémie Bela ou Komnen Andrić lorsqu’on fait des oppositions.

Vous êtes également proche de Mory Diaw. Vous donne-t-il des conseils sur le comportement des gardiens ?
On échange beaucoup sur nos postes respectifs. Si un attaquant fait un geste intéressant, il va m’en parler, me détailler la manière dont il a frappé ou il va me demander si j’aurais fait la même chose. A l’inverse, si un gardien arrête une de mes frappes, je vais lui en parler. On a souvent ces discussions dans le vestiaire mais aussi sur Instagram. Si je vois une vidéo spécifique autour des gardiens et lui des gestes d’attaquants, on se les envoie puis on échange dessus. C’est sympa de pouvoir jouer ensemble car on se connaît depuis longtemps. En Suisse, il jouait chez l’ennemi, à Lausanne !

Pour terminer, la sélection ghanéenne est-elle dans un coin de votre tête ?
Oui ! Après, pour l’instant, je n’ai pas été réellement contacté, même si mon entourage a été approché avant la Coupe du monde. Je sais que je suis observé mais je n’ai jamais reçu de présélection. C’est mon prochain challenge à relever.