Jean-Pierre Papin, actuel conseiller du président de l'OM, et Pedro Miguel Pauleta avaient échangé en 2020 sur le sujet qu’ils connaissent sans doute le mieux, leur poste de numéro 9. Entretien croisé entre deux joueurs qui cumulent 7 titres de meilleurs buteurs de Ligue 1 Uber Eats.
Jean-Pierre et Pedro, en vous voyant côte à côte, nous ne pouvons pas nous empêcher d’imaginer ce qu’aurait pu donner votre association sur les terrains…
Papin : Pour moi, notre duo aurait fonctionné sans aucun problème !
Pauleta : Evidemment que l’on aurait pu jouer ensemble. Ça aurait été un honneur. J’ai eu la chance de connaître Jean-Pierre à Bordeaux. Et j’en profite pour préciser que c’est quelqu’un que j’admirais beaucoup comme joueur. Il y a plusieurs niveaux chez les attaquants et lui a celui d’un Ballon d’Or (1991). Je crois que tous les bons joueurs peuvent s’entendre.
Papin : Un duo, c’est d’abord une question de volonté : avoir envie de partager avec l’autre. Nous associer devant aurait été compliqué à contrer pour beaucoup d’équipes. Déjà que chacun de notre côté c’était difficile pour les défenseurs, alors les deux ensemble… Quand tu as la chance de jouer avec un joueur comme Pedro, tu sais qu’au niveau de la finition, c’est juste parfait. Et avoir deux buteurs ensemble, je pense que ça aurait été un vrai bonheur !
Plus concrètement, comment vous seriez-vous organisés tous les deux sur le terrain ?
Papin : J’aurais laissé Pedro devant la surface en vrai numéro 9 pour que je puisse tourner autour de lui. C’est dans ce système que nous aurions pu exploiter au mieux nos qualités. Car je m’appuyais davantage sur ma vitesse que pouvait le faire Pedro. Ce n’était pas dans les courses qu’il exprimait le mieux ses grandes qualités – même s’il était assez rapide - alors que pour moi en revanche les courses étaient un élément déterminant de mon jeu. Pedro était un n°9 « cœur de surface » (Pedro acquiesce). Comme nous n’avons pas les mêmes qualités, nous aurions été compatibles à 200% ! En fait, notre seul point commun était de marquer des buts…
Pauleta : Les duos d’attaquants sont d’ailleurs quelque chose que l’on ne voit plus trop en ce moment dans le foot moderne. Les gens n’ont plus l’habitude de voir des paires offensives.
Comme vous le soulignez, ce poste a sensiblement évolué depuis les années 1990 et 2000. Quelles autres évolutions avez-vous pu observer ?
Pauleta : Je remarque clairement que les attaquants ont peur de tirer maintenant. Je vois des avant-centres qui ne tirent pas au but…Personnellement, je n’ai pas souvenir d’avoir terminé un match sans l’avoir fait au moins une fois. Si tu ne frappes pas au but, c’est certain que tu ne marqueras pas. C’est évident, mais c’est aussi la base. Pourtant, le jeu actuel permet de se procurer davantage d’occasions que lorsque je jouais, notamment parce que les défenses sont moins fortes. Par exemple, avec le Paris Saint-Germain actuel, j’ai envie de dire que n’importe quel attaquant peut marquer et même beaucoup, en voyant toutes les occasions créées. Dans cette équipe, Jean-Pierre aurait peut-être pu marquer 60 buts par saison ! Avec cette ligne d’attaque, il me paraît impossible de finir un match sans réussir à marquer.
Papin : Après, il y a des coachs qui ne veulent pas que leurs attaquants frappent au but. J’aurais été malheureux de jouer pour un entraîneur comme Guardiola. Quand il était au Bayern Munich, il refusait que ses attaquants tirent de loin, alors que c’est une option qui peut être très utile quand par exemple tu cherches à te mettre en confiance.
Pauleta : C’est vrai, c’est difficile à entendre pour un n°9 quand on lui demande de ne pas tirer. Même si l’on parle d’un des meilleurs entraîneurs du monde.
Papin : Mais avec Guardiola, Pedro aurait su s’adapter à ce type de jeu. C’est un tueur de surface, il sait où il doit être pour réceptionner le ballon en premier. Cela aurait été plus difficile pour moi, car j’avais besoin de partir de loin.
Pauleta : Il y a une autre différence avec notre époque, les centres. Avant, les n°9 en avaient à exploiter, aujourd’hui si un attaquant attend les centres, il ne va pas marquer beaucoup de buts…Car les joueurs de côtés repiquent à l’intérieur pour frapper. J’ai connu cela lors des dernières années avec la sélection portugaise. C’est à cause de cela que j’ai eu des difficultés d’ailleurs. J’avais Figo d’un côté et Cristiano de l’autre ! Les deux voulaient marquer, donc c’était difficile d’exister dans ces conditions. Mon schéma préféré était le 4-4-2, pour avoir un autre attaquant à mes côtés.
Papin : Dans les équipes, la normalité devrait être que les autres joueurs s’adaptent au n°9. Il est l’atout maître d’une équipe. Mais ce n’est pas ce que l’on voit. La mode est plus d’avoir plusieurs joueurs rapides qui marquent tous un peu. Or, quand une équipe a un vrai buteur, elle a un fond de jeu qui consiste à le faire marquer.
Vous avez évoqué les différentes qualités d’avant-centre, de la complémentarité entre buteurs. Quels sont les différents profils existant pour ce poste ?
Papin : Son rôle est d’être là où il faut avant les autres : ça veut dire être bien placé. Une fois que tu y es, c’est facile. Il n’y a pas beaucoup de façon d’aborder le poste. Ou tu es un finisseur, comme Pedro, ou tu as besoin d’espaces, comme moi. Pour faire un parallèle avec ce qui existe aujourd’hui, si l’on regarde le Paris Saint-Germain, le club a exactement cela dans son équipe. A savoir un Icardi qui serait Pedro et un Mbappé qui serait moi. Et les deux arrivent à jouer ensemble. Et quand le coach parvient à faire s’entendre les deux, voire même les quatre quand on parle du PSG, il y a plus de chances de marquer et de gagner les matchs.
Pauleta : On peut aussi dire qu’il y a de moins en moins de n°9 dans le football actuel. Ce n’est pas facile de trouver de bons joueurs à ce poste. Cristiano Ronaldo marque beaucoup de buts en venant par le côté, mais ce n’est pas un avant-centre, Kylian Mbappé aussi. Peut-être que les clubs en forment moins… car avant, il y en avait beaucoup plus. Quand je suis arrivé à Bordeaux, il y avait Lilian (Laslandes). Pour moi, c’était le coéquipier parfait : il gardait bien le ballon, il était bon de la tête…Je profitais de son travail.
Jean-Pierre, parmi tous les duos que vous avez pu former au cours de votre carrière lequel vous a le plus marqué ?
Papin : C’est quand j’ai joué avec Klaus Allofs à l’OM en 4-4-2 entre 1987 et 1989. C’est lui qui m’a permis d’exploser, de montrer l’ensemble de mes qualités. C’était un gaucher de grande expérience. Sur le terrain, on se plaçait le plus souvent l’un derrière l’autre. Il m’a d’ailleurs appris à bien me positionner. C’était une phase d’apprentissage très intéressante pour moi, car j’ai beaucoup appris à son contact. Il faut se rappeler que l’on parle ici d’un des meilleurs joueurs de l’époque, un Champion d’Europe avec la RFA en 1980. (A ses côtés, JPP a remporté ses deux premiers titres de meilleur buteur de Ligue 1 Uber Eats en 1988 et 1989).
Avant de devenir de grands buteurs au cours de vos carrières, quels joueurs vous avaient inspiré lorsque vous étiez jeunes ?
Papin : J’aimais beaucoup le football anglo-saxon. Du coup, je regardais Joe Jordan (attaquant écossais des années 70-80). C’est même lui qui m’a donné l’envie de marquer des buts. Sinon, mon idole était Michel Platini.
Pauleta : Pour moi, il y a eu forcément Fernando Gomes, qui a été deux fois Souliers d’Or (1983 et 1985). C’était le grand attaquant portugais du FC Porto. Après, ce n’est pas parce qu’il est là, mais j’aimais beaucoup Jean-Pierre et van Basten que je regardais tout le temps, et ensuite Klinsmann un peu plus tard. Je me souviens d’une fois où Jean-Pierre était venu après un match avec Bordeaux me demander mon maillot pour son fils. En rentrant chez moi, j’avais dit à ma femme - « Devine qui est venu me voir après le match ? » - j’étais excité et fier !
Papin : Et mon fils a toujours ton maillot !
Vous avez tous les deux collectionnés les buts tout au long de votre carrière et ce dans toutes vos équipes. Mais avez-vous toujours été attirés par le but ?
Pauleta : Dès mon premier ballon touché, mon objectif a été de frapper au but. Je viens d’une île (les Açores) qui n’avait pas de centre de formation, ni de club pro, et dont le meilleur niveau était la 3e Division. Donc, il n’y avait pas les meilleures méthodes pour former les joueurs. Alors pour moi, c’était tout le temps contrôle-frappe ; dans la rue, à l’école... A 9 ans, ce que je voulais c’était marquer des buts. Et aujourd’hui encore je raisonne comme ça ! Quand je fais un foot avec des amis, je tire dès que j’en ai l’occasion ! Ils me demandent de leur faire des passes, mais ce n’est pas possible pour moi. Quand je suis devant le but, ce n’est pas pour rigoler ! Et ça, même lors d’une partie entre amis. C’est ça être buteur.
Papin : Pareil pour moi, même si j’ai débuté au poste de gardien de but. Mais ça n’a duré que 12 minutes…J’avais des gants en laine et les trois premiers tirs subis ont fini au fond après avoir glissé entre mes mains. J’avais tellement honte que j’ai vite demandé le changement pour me mettre en attaque. Et je n’ai plus jamais changé de poste de toute ma vie.
Pauleta : Ça me fait penser à ce que me disait Ulrich Ramé lorsque nous étions coéquipiers à Bordeaux. Il était persuadé que j’avais été gardien auparavant, mais je ne l’ai jamais été ! Il le croyait parce que je gardais toujours un œil sur lui à l’entraînement. C’est vrai que j’aimais observer le placement, l’attitude des gardiens ; savoir s’ils restaient sur leur ligne ou pas. Aussi bien à l’entraînement qu’en match. J’avais besoin de recueillir un maximum d’informations sur leurs comportements. Par ailleurs, j’ai aussi toujours cherché à voir lequel des deux centraux adverses était le moins rapide pour essayer de l’exploiter.
Evoquons maintenant le fameux « égoïsme » du buteur, celui qui faisait justement que vous n’hésitiez pas à tirer au but. Et dans ce désir permanant de marquer, avez-vous par exemple déjà été déçus après une victoire de votre équipe ?
Pauleta : L’attaquant qui répond « non », il ment. Je n’ai pas d’exemple en tête, mais c’est certain que j’ai été fâché après une victoire. Même si je marquais un but, mais que j’en ratais un autre, je ne pensais qu’à ce dernier à la fin du match. En revanche, l’inverse n’est pas possible…(être heureux après une défaite).
Papin : Moi, j’ai même pleuré sur un terrain après une victoire. C’était lors de OM-Montpellier en championnat. Je rate un pénalty et je ne marque pas du match. A la fin et malgré la victoire 2-0 de l’OM, j’étais effondré, la tête entre les mains au milieu du terrain.
Pauleta : Je comprends ça. Je préférais me fâcher sur une action avec un coéquipier pour avoir pris ma chance plutôt que de ne pas avoir tiré. Il faut toujours essayer, c’est ça un attaquant. Je me souviens d’un match où même en ayant marqué tous les autres joueurs voulaient ma peau ! C’était avec le Portugal contre les Pays-Bas en 2000. Le sélectionneur de l’époque (Antonio Oliveira) était venu me voir pour me dire : « tout le monde veut que tu joues, alors tu vas débuter, mais c’est ta dernière chance ». Sur une action où il y avait Figo sur un côté, je savais que je n’avais pas le droit à l’erreur, mais j’ai tiré et marqué. Au moment de fêter le but, Figo, Conceiçao, Fernando Couto et d’autres ont foncé sur moi pour m’insulter et me reprocher de ne pas avoir servi Figo ! Dans ma tête, c’était clair. Ce n’est pas que je ne voulais pas faire de passe, c’est que j’avais pris la décision de marquer.
Papin : Mais c’est nécessaire pour un buteur d’avoir de l’égoïsme. Le plus important pour moi c’était de marquer des buts, j’étais là pour ça, même si parfois il pouvait y avoir des petits accrochages avec des coéquipiers qui me reprochaient de ne pas assez passer le ballon. Mais généralement quand je marquais tout le monde était content, car c’était le plus souvent signe de victoire, de points pris et de prime (rires) !
Papin : « contrôler fait perdre l’avantage que l’on a sur l’adversaire »
Justement cette concurrence du plus haut niveau, comment cela se gère-t-il quand on est un attaquant ?
Papin : Quand j’arrive à Milan en 1992/93, il y avait de la compétition avec Marco van Basten, car à l’époque on ne pouvait aligner que trois joueurs étrangers dans le onze et nous étions six à y prétendre entre nous deux, Gullit, Rijkaard, Boban et Savicevic. C’était donc le plus souvent lui ou moi, à moins que l’on nous choisisse tous les deux pour débuter. Quand cela a été le cas, tout s’est d’ailleurs bien passé entre nous.
Pauleta : Face à une forte concurrence en club, un attaquant peut aussi trouver d’autres solutions pour s’imposer. A l’Inter, Ivan Zamorano vient du Real, mais il voit ensuite arriver Ronaldo, puis Vieri. Là, il se dit évidemment qu’il ne va pas jouer…Mais il a raconté qu’il a trouvé la manière d’être titulaire dans cette équipe en faisant les efforts pour deux. En courant pour les autres, il a du coup joué et Ronaldo, qui a été blessé, et Vieri permutaient à ses côtés. Il s’était rendu indispensable.
Jean-Pierre, vous êtes un des rares joueurs à avoir un geste technique à votre nom : « la Papinade ». Était-ce quelque chose d’inné chez vous ou le fruit du travail ?
Papin : Pour marquer 346 buts en carrière, j’ai effectué 1,2 millions de tirs à l’entraînement sans compter les matchs ! Ce qui correspond environ à un peu plus de 200 tirs par jour. Quand arrivait le match, j’étais tellement habitué à tenter et à frapper à l’entraînement que je reproduisais les gestes de la même façon. C’est par le travail qu’est née la « Papinade ». Avec la répétition, je ne me posais même plus de question. Sur tous mes buts en carrière, je pense qu’il doit y en avoir une trentaine où j’effectue un contrôle avant de tirer. J’ai inscrit tous les autres en une seule touche. Pour moi, le contrôle fait perdre l’avantage que l’on a sur l’adversaire, donc je n’en faisais plus.
Et vous Pedro, accordiez-vous aussi autant d’importance aux entraînements ?
Quand je suis arrivé en France à Bordeaux, je me souviens que j’ai découvert l’entraînement spécifique. C’était chaque jeudi, et je restais longtemps avec un jeune gardien du club pour multiplier les frappes ou encore les reprises sur des centres. Je répétais mes gammes. C’était vraiment très important. Mais désormais c’est quelque chose qui s’est perdu. Les joueurs viennent avant l’entraînement pour faire de la muscu et ressembler à Ronaldo, mais aujourd’hui tu vois très peu d’attaquants rester après l’entraînement pour frapper au but.
Et à Bordeaux, cette assiduité vous a plutôt réussi avec un fameux premier match où vous scorez trois fois !
Au football, tu peux avoir tout le talent que tu veux, il faut aussi de la chance. A Bordeaux, j’en ai eu sur mon premier match, la semaine de mon arrivée au club. Avec ces trois buts, j’ai gagné de la confiance. Et j’ai encore marqué trois fois quelques jours après en Coupe d’Europe contre Lierse. Le buteur marche énormément à la confiance. Et pour ça, il n’y a rien de mieux que de marquer des buts.