Interview

Loïc Nego : « Luis Enrique m’a marqué par sa gestion du vestiaire »

Loïc Nego : « Luis Enrique m’a marqué par sa gestion du vestiaire »

Interview
Publié le 01/05 à 13:33 - Arnaud Di Stasio

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Ex-pilier des Bleuets aujourd’hui international hongrois, Loïc Nego raconte sa drôle de trajectoire, de Nantes au Havre AC en passant par la Roma, avec des anecdotes sur Luis Enrique, Totti, Griezmann ou encore Lacazette. Entretien.

Après de nombreuses années à l’étranger, tu vas bientôt boucler ta première saison en Ligue 1 Uber Eats à désormais 33 ans. C’était important pour toi de revenir en France pour montrer de quoi tu étais capable dans ton pays ?
Bien sûr. Je suis parti très tôt à l’étranger, où j’ai vécu de belles choses, mais c’était un rêve pour moi de jouer un jour dans l’élite française. J’avais déjà joué en Ligue 2 avec Nantes mais, en tant que joueur professionnel français, si j’avais terminé ma carrière sans goûter à ce qui se fait de mieux en France, il m’aurait manqué un truc. Il y aurait eu un goût amer, un goût d’inachevé, et c’est ce que j’ai dit à mes enfants avant de signer au Havre l’été dernier. Ça faisait plusieurs années que j’y pensais mais le bon projet ne s’était pas présenté avant.

Dans ta carrière, tu as remporté des titres, tu as joué une quarantaine de matchs de Coupe d’Europe, tu es international hongrois… Comment Mathieu Bodmer t’a convaincu de signer au HAC ?
Rapidement ! J’ai échangé avec mon agent 10 minutes, pas plus. Mathieu Bodmer et Mohamed El Kharraze (le directeur sportif adjoint) ont été convaincants et ils ont été convaincus par mon profil. Je me suis un peu renseigné sur la ville, le club, les joueurs qui étaient là… Une des premières choses que j’ai vues, c’est que le groupe était jeune, ce qui m’a tout de suite plu car ça veut dire que ce sont des joueurs qui ont tout à prouver. Et puis, je connaissais « Momo » El Kharraze depuis longtemps…

C’est-à-dire ?
Je le connais depuis mes années au Bourget, avant d’intégrer le centre de formation du FC Nantes. C’était mon coach avec la sélection de Seine-Saint-Denis. Je jouais attaquant ou en soutien de l’attaquant à cette époque et c’est lui qui m’a replacé latéral droit sur un tournoi interdistricts. Je le remercie parce que c’est avec ce changement de poste que ma carrière a pris une autre tournure !

« À la Roma, il fallait que j’en fasse plus que les autres »

Pour revenir à tes débuts, tu as donc été formé au FC Nantes, où tu débutes en pro en mai 2010 mais un an plus tard, à 20 ans, tu pars à la Roma. Que s’est-il passé ?
Alors, en juillet 2010, je suis champion d’Europe avec l’équipe de France U19 et quand je rentre à Nantes, il était prévu quelque chose avec Gilles Favard, qui était le directeur sportif du club. Mais il se fait remplacer par Guy Hillion, qui arrivait de Chelsea. Tout ce qui avait été convenu avait complètement changé, ce que l’on n’a pas trop apprécié avec mon entourage, si bien qu’on n’a pas donné suite à la proposition de M. Hillion et j’ai quitté Nantes à contrecœur, en fin de contrat. J’avais des discussions avec l’AS Saint-Étienne, un club important pour moi car c’était le club préféré de mon papa, mais ça ne s’est pas fait. Derrière, il y avait le Mondial U20 qui approchait et le sélectionneur Francis Smerecki me demandait de faire un choix car il allait annoncer sa liste. Il ne voulait pas que ça me perturbe pendant la compétition. Je me suis peut-être un peu précipité et j’ai choisi parmi plusieurs belles opportunités : l’Inter, Porto et donc la Roma. Mais quand je regarde en arrière aujourd’hui, je ne regrette pas.

Que retiens-tu de ton expérience à l’AS Roma même si tu n’as pas joué en équipe première ?
Je suis arrivé très jeune là-bas. Je sortais presque du centre de formation donc je n’avais pas encore une grande autonomie. A Nantes, j’étais très épaulé et là, j’arrivais à l’étranger, seul avec ma femme et mon fils, dans une grande ville… Il y avait une grande différence ! Mais j’ai appris qu’il n’y a pas de place pour toi si tu n’es pas exigeant, discipliné… C’est ce qui fait un grand joueur. Tous les jours, il faut montrer de la constance, que ce soit un match ou un entraînement ! Moi, je suis arrivé sous Luis Enrique et les entraînements étaient intenses. Il y avait vraiment une très grande exigence sur la qualité et le sérieux qu’il fallait mettre.

Et tu en manquais ?
Ce n’est pas que je n’étais pas discipliné mais c’était encore un niveau supérieur. Je suis arrivé à la Roma à 20 ans donc je faisais partie des plus jeunes du groupe. Comme je sortais du Mondial U20, j’ai repris avec la réserve pour une semaine, histoire de me mettre dedans physiquement, avant de commencer à m’entraîner avec les pros. Et à la fin des séances, je n’avais pas forcément le réflexe de ramasser le matériel. Je rentrais directement aux vestiaires avec les autres joueurs alors que je n’étais pas comme eux. Je venais d’arriver et j’avais tout à prouver. Il fallait que j’en fasse plus que les autres. C’est ce type de choses dont je n’avais pas vraiment confiance en arrivant.

On t’a alors rappelé à l’ordre ?
Non, tout le monde me traitait très bien. Mais même si on ne vient pas te le dire directement, il y a forcément des gens qui vont remarquer ces comportements. Tous les week-ends, on me faisait redescendre en réserve donc c’est que quelque chose n’allait pas chez moi ! Sur le coup, je ne m’en rendais pas compte mais plus tard, j’ai compris…

« Les Italiens m’ont découvert parce que j’avais mis un coup à Totti »

Tu as déjà raconté avoir été marqué par le professionnalisme des joueurs de la Roma. Quels conseils te donnaient-ils ?
J’en ai un de Miralem Pjanić en tête, je vais vous le raconter. Avec Miralem, on est arrivés à la Roma le même été et on vivait dans le même hôtel pendant nos premières semaines là-bas. On allait à l’entraînement ensemble et, même s’il avait le même âge que moi, il me donnait beaucoup de conseils. Et un jour, il me dit qu’il me trouve un peu trop gentil pour un défenseur. On commence l’entraînement et je fais un gros tacle sur Francesco Totti ! Et je vois Francesco qui reste à terre… Il a mal et il est obligé de rentrer au vestiaire… Heureusement, rien de grave finalement mais le lendemain, on parlait de moi dans tous les journaux. C’est comme ça que les Italiens m’ont découvert, parce que j’avais mis un coup à Francesco Totti ! Mais heureusement, j’ai des anecdotes plus heureuses avec lui !

Lesquelles ?
Un jour, je gare ma Mercedes devant chez moi et, le lendemain matin, je la retrouve avec l’aile enfoncée. Aucune idée de ce qui s’était passé et évidemment, personne n’avait laissé de message. J’étais tellement dégoûté que je ne roulais plus avec. Au bout d’un moment, Francesco Totti me demande ce qu’il se passe. Je lui raconte et Francesco me dit de venir avec ma voiture le lendemain. À la fin de l’entraînement, j’arrive sur le parking et ma voiture n’est plus là. Francesco était déjà parti et je n’avais pas son numéro de téléphone à l’époque. Je me débrouille pour rentrer chez moi et le lendemain, je lui demande si c’est bien lui qui a ma voiture et il me répond de ne pas m’inquiéter. Quelques jours plus tard, j’arrive à Trigoria (le centre d’entraînement) et je retrouve ma voiture réparée, toute propre. Francesco avait pris en charge toutes les réparations ! Quand je l’ai vu dans le vestiaire, je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête mais je suis allé lui faire un bisou sur le front !

Pour toi, Francesco Totti, c’est donc ça…
Oui ! Et c’était aussi mon voisin dans le vestiaire et dans la vie ! Il habitait au dernier étage d’un immeuble - et je veux dire qu’il avait tout le dernier étage - et moi, je vivais dans l’immeuble d’à côté. Pour rentrer chez moi, je devais passer devant son immeuble et, tous les jours, il y avait une cinquantaine de supporters devant chez lui, avec des pancartes, des maillots…

« Luis Enrique se comportait avec les jeunes comme avec les Totti, De Rossi… »

À la Roma, tu as donc été entraîné par Luis Enrique, qui vivait sa première vraie expérience sur un banc…
J’ai beaucoup aimé travailler avec lui. Il était très actif. Il répétait tout le temps qu’il fallait vouloir être meilleur que la veille, mieux faire les choses que la veille… Avec lui, il y avait beaucoup de jeu, beaucoup de ballon. Ce qui m’a aussi marqué chez lui, c’est sa gestion du vestiaire et notamment des jeunes parce qu’il se comportait avec nous comme avec les Totti, De Rossi… Mais je ne sais pas s’il fonctionne toujours pareil !

Et si je ne me trompe pas, tu as aussi côtoyé Marquinhos pendant six mois…
Oui, il venait d’arriver du Brésil et on a tout de suite vu que c’était un joueur destiné à une grande carrière. Il a pris ses marques à la Roma hyper rapidement et il s’est mis à enchaîner les matchs. C’est une très belle personne et j’ai vu, quand je l’ai retrouvé cette saison, qu’il n’avait pas changé ! Mais même si je m’entendais bien avec Marquinhos à l’époque, celui dont j’étais le plus proche, c’était Erik Lamela.

Après Nantes et la Roma, il y a eu le Standard de Liège, Ujpest et Charlton pour un total de trois ans compliqués niveau temps de jeu. Est-ce qu’il y a un moment où tu as été tenté d’abandonner ?
Jamais ! Le football a toujours été ma passion. Même si ça ne marchait pas comme je le voulais, j’étais jeune et j’avais confiance en mes agents. Je savais que j’allais finir par trouver quelque chose. Je savais aussi que tout dépendait de moi. Le plus important, c’est l’investissement que j’allais mettre, pour réussir à avoir la carrière que j’imaginais. Mais c’est vrai que c’était dur. Après mon prêt au Standard de Liège, je suis rentré à la Roma et on a résilié mon contrat. Le jour de la signature, j’ai d’ailleurs croisé Rudi Garcia qui, lui, arrivait au club. Derrière, j’ai passé plus d’un mois sans club, à la maison. C’est là que je reçois un coup de fil d’un club hongrois donc je me renseigne un peu mais je dis non. Mes agents ont insisté et ça s’est finalement révélé être un très bon choix.

« On fait venir Chelsea en Hongrie et je marque ! »

Un très bon choix puisque tu es resté 10 ans en Hongrie, avec Videoton principalement, et que tu es devenu international hongrois en 2020…
C’est une belle histoire ! Dans le championnat hongrois, les équipes qui alignent un certain nombre de joueurs nationaux reçoivent un chèque de la fédération. À Videoton, on était pas mal d’étrangers et le club voulait dégraisser pour mettre en lumière de jeunes Hongrois. Comme ça faisait plus de cinq ans que je jouais en Hongrie, le directeur sportif m’a proposé de prendre la nationalité hongroise en plus de la nationalité française. Moi, j’étais très bien là-bas donc si ça pouvait aider mon club, ça ne me dérangeait pas… J’accepte et derrière, on fait une super saison où on va en Europa League, on fait venir Chelsea en Hongrie… Sur le plan personnel, tout se passe à merveille. D’ailleurs, je marque contre Chelsea ! J’aurais pu signer à Beşiktaş mais Videoton veut me garder et me récompense avec un nouveau contrat. Dans la foulée, on me dit que les règles pour intégrer l’équipe de Hongrie vont évoluer et qu’une opportunité pourrait arriver pour moi.

Et ensuite ?
J’ai été réaliste. Je crois que j’aurais pu attendre l’équipe de France jusqu’à ma mort (sourire). Malheureusement pour moi, je n’allais pas avoir cette chance de jouer en équipe de France A, ce qui était un rêve d’enfant, donc pourquoi ne pas représenter la Hongrie, un pays qui m’a très bien accueilli et qui m’a beaucoup apporté… Aujourd’hui, je ne regrette pas !

J’ai lu qu’avant ta première sélection, tu avais choisi pour ton bizutage la chanson Boom boom de Factor X…
Ça, c’est mon son (rires). Je l’écoute encore souvent ! Quand je la mets en voiture, mes enfants la connaissent par cœur ! Pour la petite anecdote, notre gardien Péter Gulácsi m’avait dit qu’il classait ma performance dans son top 2 en sélection !

Ça n’a pas été trop difficile de s’intégrer en tant qu’étranger ?
Pas du tout. Dans l’équipe, il y a beaucoup de joueurs qui évoluent à l’étranger donc ils sont habitués à ces mélanges. Au niveau de l’adaptation, de la vie de groupe, ça s’est très bien passé. Et puis, au début, on était 4-5 joueurs de Videoton donc j’avais plusieurs connaissances dans le groupe.

« Hongrie-France ? Une dinguerie ! »

Durant le dernier Euro, tu t’es retrouvé à disputer un Hongrie-France…
C’était une dinguerie ! Encore plus par rapport à ce qu’il s’était passé quelques mois avant car lorsque j’arrive en sélection, je me retrouve à jouer le match le plus important de la sélection depuis plus de 20 ans, le barrage de qualification pour l’Euro contre l’Islande. C’est une histoire de fou parce que le sélectionneur avait le covid donc il nous parlait en vidéo. Moi, je commence sur le banc et on perdait depuis le début du match. Notre rêve de jouer l’Euro en Hongrie s’éloignait… Ça allait être une grande fête et on était en train de laisser passer l’occasion. Le coach m’appelle pour entrer en fin de match alors que je ne m’y attendais pas du tout. Pour vous dire, j’étais en baskets. Je me change en vitesse et j’entre sans m’échauffer.

Et ensuite ?
Je ne sais même pas à quel poste j’entre, je me dis juste que je vais tout donner. On poussait, on poussait, et là, je reçois le ballon, une-deux dans une forêt de jambes et le ballon me revient pile dans la course, sur mon pied droit, dans un angle où je ne peux pas rater. Je marque et c’est la folie ! Juste derrière, on marque le 2-1 et on va à l’Euro ! Et pour revenir à la question, on se retrouve à jouer la France dans ce qui restera l’un des plus beaux jours de ma vie !

Vraiment ?
Forcément ! La Marseillaise déjà, c’était quelque chose ! Et je jouais contre l’équipe de France, une équipe dans laquelle je rêvais d’être. Toute ma famille, tous mes amis sont là… Pendant deux ou trois minutes, tu as plein de pensées mais ensuite, tu mets ça de côté et tu entres dans ton match ! Une fois sur le terrain, il n’y a plus de copains en face ! Et attention, on a été à deux doigts de gagner (1-1 avec ouverture du score hongroise) !

« J’étais toujours en chambre avec Antoine Griezmann »

Pour terminer cet entretien sur tes années équipe de France, tu évoquais plus tôt le Mondial U20 mais aussi l’Euro U19 que vous aviez remporté...
Ce sont des souvenirs qui resteront gravés en moi pour toujours ! On avait une génération exceptionnelle, avec un staff qui nous a suivis pendant presque quatre ans. C’est une époque pendant laquelle on apprenait beaucoup même si tous les joueurs avaient des statuts très différents dans leurs clubs respectifs.

Dans ta génération, celle des 1991, il y avait notamment Antoine Griezman, Alexandre Lacazette, Gaël Kakuta, Kalidou Koulibaly…
Alors, Lacazette, il marquait tout le temps ! Avec lui, c’était toujours le but, le but. Il y avait aussi Yannis Tafer, un autre attaquant de l’OL, dans le même style. Yannis était même un peu devant Alexandre à l’époque. Gueïda Fofana était le meneur d’hommes. On était des gamins mais c’était le papa parmi les gamins, celui qui nous reprenait de volée si on faisait des conneries. Gaël Kakuta avait déjà un talent hors normes. On avait aussi Francis Coquelin avec nous et donc Antoine Griezmann. J’étais toujours en chambre avec lui. Lorsqu’il est arrivé, il était dans son coin, tout timide. Pour autant, il était très sûr de lui. Il ne se prenait pas la tête, même quand il ne jouait pas, et au début, il n’était pas titulaire. On a vu où cette confiance en lui l’a mené.

Sur les terrains cette saison, tu as retrouvé Alexandre Lacazette mais aussi Wissam Ben Yedder…
Oui, avec Wissam, on vient du même quartier à Garges-lès Gonesse ! On n’a pas grandi ensemble mais on se retrouvait une fois par semaine car il y avait toujours des matchs organisés entre sa cité et la mienne. C’était intense ! Il y avait de la qualité des deux côtés et c’était toujours : « C’est nous les meilleurs ! » « Non, c’est nous ! » La suprématie dans la ville était en jeu ! Mais le meilleur, je peux le dire aujourd’hui, c’était Wissam ! Il ne fallait pas lui laisser deux mètres !