Randal Kolo Muani (FC Nantes)
Interview

Randal Kolo Muani : « Je veux avoir cette rage de marquer »

Randal Kolo Muani : « Je veux avoir cette rage de marquer »

Interview
Publié le 16/11 à 09:13 - N. Maître

Partager

Avant-centre du FC Nantes depuis la saison dernière, Randal Kolo Muani se livre sur son début de carrière. De son parcours singulier à son rapport au but en passant par sa progression, le numéro 23 des Canaris vainc sa timidité et passe tout en revue.

Randal Kolo Muani, que vous évoque le 14 mars dernier ?
Je pense que c’est notre victoire au Parc des Princes face au Paris Saint-Germain (succès 2-1 du FC Nantes avec un but et une passe décisive de Randal Kolo Muani). À mes yeux, ce n’était pas mon meilleur match, mais je suis conscient que c’est celui qui m’a mis en lumière.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours avant d’arriver au FC Nantes ?
J’ai commencé à jouer au foot en région parisienne, plus précisément au FC Villepinte, dans le club de ma ville. Ensuite, j’ai évolué au Tremblay des catégories U11 à U13 avant de rejoindre Torcy, où j’ai passé quatre ans, jusqu’en U17. C’est là-bas que le FC Nantes m’a repéré à l’âge de 16 ans avant de me recruter en novembre 2015.

Qu’est-ce qui vous manquait pour rejoindre un centre de formation plus tôt ?
Au vu du nombre de talents qu’il y a dans la région parisienne, c’est très difficile d’avoir l’opportunité de rejoindre un centre de formation. J’ai mis du temps à grandir et quand j’ai commencé à jouer, j’étais très frêle. Je manquais aussi de caractère, de maturité sur le terrain. Par exemple, dans un match, on pouvait me voir 10 ou 20 minutes puis je disparaissais totalement. Je n’étais présent que par intermittence.

Vous étiez nonchalant…
Oui… J’étais même très nonchalant. C’était une erreur de jeunesse, un aléa de la vie. J’ai dû travailler sur moi-même. J’espère que je n’en ai pas pris conscience trop tard, mais aujourd’hui j’ai le sentiment d’être dans le bon wagon.

Mais vous avez finalement réussi à tirer votre épingle du jeu…
On va dire que j’ai eu la chance de taper dans l’œil du FC Nantes. Je suis très heureux d’avoir réussi à convaincre le club. Avant cette opportunité, j’avais fait des tests en Italie (à Cremonese et à Vicenza) mais mon père avait préféré que je reste en France. Sans cet intérêt de Nantes, je ne sais pas où je serai aujourd’hui.

« Je ne me disais pas qu’un jour je serai professionnel »

Étiez-vous persuadé de réussir à devenir un joueur professionnel ?
Non, pas spécialement. Je travaillais quand même pour, j’essayais de me donner les moyens et c’était mon objectif, mais je ne me disais pas qu’un jour je serai professionnel. Je n’avais pas envie de rêver, je ne voulais pas tomber de haut.

Comment s’est passée votre adaptation au FC Nantes ?
Au début, j’avais un peu de mal, je pense que j’ai mis un an à m’adapter au rythme de travail et à l’intensité des séances. Heureusement, j’ai pu compter sur le coach Charles Devineau et mes coéquipiers pour me mettre à l’aise au fil du temps. Après avoir commencé en U19, je suis passé en CFA avec l’équipe réserve, où j’ai longtemps joué, avant de faire l’ascenseur entre cette dernière et le groupe professionnel. A ce moment-là, je me demandais quand j’aurais la chance de rester en équipe première.

Considérez-vous le fait de ne pas être véritablement passé par un centre de formation comme un frein ?
J’en fais plutôt une force. Au vu de mon parcours, je considère qu’on n’a pas obligatoirement besoin de passer par un centre de formation pour jouer au haut niveau. L’exemple de N’Golo Kanté le prouve. Il joue aujourd’hui dans l’un des meilleurs clubs au monde (Chelsea) alors qu’il a explosé sur le tard avec un parcours singulier.

Quelles étaient les différences entre vous et les joueurs qui ont connu un centre de formation ?
Techniquement, ils sont très, très fins. Et tactiquement, ils ont un meilleur positionnement et font plus attention au moindre détail. Il faut s’adapter et vite apprendre. Je faisais des séances supplémentaires pour tenter de combler mon retard.

Pour acquérir du temps de jeu, vous rejoignez Boulogne en prêt pour la saison 2019/20. Qu’est-ce que vous a apporté ce passage ?
De la confiance. Déjà, avant même d’être prêté, j’avais décidé que je voulais évoluer dans une équipe première, que ce soit en Ligue 2 ou en National, je voulais pleinement découvrir le quotidien au sein d’un groupe pro. Au fur et à mesure de ne pas jouer en équipe première, de faire l’ascenseur entre le groupe pro et la réserve, je commençais à douter. Je me disais que je faisais peut-être quelque chose de mal. Le fait d’avoir du temps de jeu dans une équipe au-dessus du niveau CFA, ça m’a rassuré. J’ai pu découvrir un championnat difficile, avec de l’intensité et beaucoup de duels.

« Ce prêt, c’est la meilleure décision de mon début de carrière »

Cette aventure avait pourtant mal débuté avec deux cartons rouges et huit matchs de suspension…
Ça a été le déclic. J’étais au fond du trou. J’ai commencé à me poser beaucoup de questions et heureusement ma famille était à mes côtés pour me soutenir. J’ai beaucoup changé ma façon de penser et de travailler. Je me disais que je prenais la mauvaise direction, que j’étais venu ici pour faire décoller ma carrière, pas pour régresser et m’enterrer. Il fallait que je surmonte toutes ces épreuves. Ce prêt, c’est la meilleure décision de mon début de carrière.

Le FC Nantes mise-t-il réellement sur vous à votre retour de prêt ?
Avant la reprise, j’avais discuté avec le coach de l’époque, Christian Gourcuff, et il m’avait dit que je devais faire mes preuves lors de la préparation. Il ne m’avait pas clairement dit qu’il ne comptait pas sur moi, il voulait d’abord voir ce que je pouvais apporter. Finalement, la reprise se passe bien, il me met titulaire dès le deuxième match puis j’enchaîne.

Comment avez-vous vécu le fait de passer d’un prêt en National à titulaire en Ligue 1 Uber en quelques mois ?
Tout est allé très vite. J’enchaînais les matchs mais je n’avais pas conscience que, oui, j’étais enfin un titulaire. Je me concentrais sur le fait de donner le meilleur de moi-même, d’aider l’équipe, de faire de bonnes passes et de marquer.

Vous recevez en octobre votre première convocation avec les Espoirs…
Je ne m’y attendais pas du tout ! (rires) J’avais déjà rêvé d’être sélectionné mais je ne pensais pas que ça pouvait arriver aussi rapidement. En plus, je n’avais plus qu’une année pour pouvoir jouer dans la catégorie, donc je me disais que c’était trop tard pour être appelé. J’étais vraiment très heureux.

Vous n’aviez jamais connu de sélections jeunes. Comment avez-vous vécu votre premier rassemblement ?
Dès que je suis arrivé, j’ai vu que des joueurs qui avaient beaucoup de sélections, de matchs en championnat, ça m’a mis la pression à l’entraînement. Je me suis dit qu’il ne fallait pas que je rate de passes, que je m’applique, que je sois plus concentré et que je me replace bien. J’ai trouvé les entraînements plus difficiles qu’en club, donc forcément tu progresses.

« Je n’allais pas partir tout de suite dans n’importe quel club »

Vous avez participé aux Jeux Olympiques l’été dernier. Qu’est-ce que vous en retenez ?
Ce n’est pas tous les jours que tu peux jouer les Jeux Olympiques, c’était une expérience magnifique. Comme on n’avait pas la même équipe qu’en Espoirs, j’ai pu rencontrer de nouvelles personnes. C’était enrichissant. On n’a pas eu les résultats espérés mais il y avait une ambiance chaleureuse.

Dans la foulée, vous êtes sollicité, pourquoi avez-vous choisi de rester au FC Nantes ?
C’est une suite logique à mes yeux. Avec seulement une saison de Ligue 1 Uber Eats dans les jambes, je n’allais pas partir tout de suite dans n’importe quel club. Pour moi, il fallait encore que je confirme en Ligue 1 et que je grappille davantage de temps de jeu. Rester au club, c’était le meilleur choix possible pour moi. Je savais qu’en faisant ce choix, je pourrai poursuivre ma progression.

Comment voyez-vous la suite de votre carrière ?
Déjà, je veux bien finir cette saison. Le reste, je n’y pense pas trop. Je préfère vivre au jour le jour. Dans le football, du jour au lendemain, tu peux passer de tout à rien. Au vu de mon parcours, je ne veux pas trop me projeter. J’essaye simplement de faire le maximum pour après avoir le plus de choix.

Avez-vous un modèle ?
J’en ai beaucoup (rires). Je ne me réfère pas à un joueur spécialement. Par exemple, j’aime beaucoup la combativité de Luis Suarez, la finesse d’Anthony Martial, les accélérations et les changements de rythme de Raheem Sterling… Kylian Mbappé, même si on a le même âge, j’aime la manière dont il excelle avec sa vitesse. J’essaye de prendre des touches un peu partout pour m’inspirer. Je me dis : « S’ils le font bien, pourquoi pas moi ? »

Vous regardez des vidéos d’eux ?
Des vidéos, des matchs : je regarde tout. Dès qu’il y a un joueur qui m’attire, je le suis à fond. Quand je suis chez moi, la télé est toujours allumée avec un match.

« Je ne suis pas un attaquant qui a faim de but mais j’y travaille »

On a l’impression qu’il existe deux Randal Kolo Muani, un sur le terrain et un autre en dehors…
C’est vrai que d’un point de vue extérieur, avec les caméras et les médias, je suis plutôt timide, alors que dans le vestiaire, c’est tout l’inverse. Je m’exprime mieux sur le terrain, c’est là où je montre mon caractère et où je prends le plus de plaisir. Je n’hésite pas à prendre le ballon et à dribbler, car je suis en confiance. Je ne me prends pas la tête quand je suis sur le terrain.

Cette sérénité, on a pu la voir sur votre but face à Angers. On imagine que vous n’avez pas pu rater le commentaire où Thierry Henry vous compare à Nwankwo Kanu ?
Je l’ai vu et revu ! Je suis directement allé voir des vidéos. J’ai pu voir que c’était un joueur très à l'aise techniquement. Ça m’a fait plaisir. J’aime dribbler et faire des feintes. Ce but face à Angers, c’est de l’instinct.

Le but constitue-t-il une obsession chez vous ?
C’est un défaut mais, pour moi, non. Je suis vraiment un joueur collectif. Je vais penser à mes coéquipiers, à la dernière passe avant tout. Je ne suis pas un attaquant qui a faim de but mais j’y travaille. C’est mon poste, c’est à moi d’être présent dans la surface et de finir les actions. Depuis le début de saison, je trouve que je progresse dans ce domaine. J’arrive à prendre de meilleures décisions dans le dernier geste. Il faut que je continue sur cette lancée.

Il faut dire que vous n’avez pas toujours été attaquant…
Quand j’étais en CFA, je jouais plus au poste d’ailier que d’avant-centre. Comme je n’étais pas réellement devant le but, j’aimais bien dribbler sur le côté et centrer en retrait ou devant le but. Je préférais faire des passes décisives. Même à Boulogne, lors de mon prêt, je jouais sur le côté, c'est ce que le coach voulait.

Comment travaillez-vous pour améliorer votre efficacité ?
J’échange avec ma famille. On est vraiment très proches. Toutes les questions que j’ai besoin de poser, c’est à eux que je les pose. Sinon, à l’entraînement, j’essaye de m’améliorer dans mes prises de décision pour savoir quand je dois tirer ou quand je dois faire la passe. C’est un travail sur moi-même. A force de m’entraîner sur ce point, je vais avoir de meilleurs réflexes dans certaines situations. Je progresse, et je n’ai pas fini de progresser !

Antoine Kombouaré vous accompagne-t-il pour progresser dans ce domaine ?
Il me challenge. Comme il sait que j’aime bien dribbler, provoquer des pénaltys et faire des passes décisives, à chaque début de match et même dans la semaine, il me dit que j’ai trois buts à marquer. Il compte les passes décisives, les pénaltys obtenus et les buts. Ça me laisse la liberté de m’exprimer et de progresser dans tous les domaines. C’est une source de motivation. J’ai réussi à relever le défi à Angers. Ça n’arrive pas tout le temps, mais si tu veux aller loin, il faut toujours avoir des objectifs élevés.

Un match sans but et sans passe décisive est-il raté pour vous ?
Concrètement, oui. Si je n’ai pas été efficace, si je n’ai pas marqué ou si je n’ai pas aidé un coéquipier à marquer, c’est un match raté. Il faut que je pense de cette manière pour progresser. Je veux avoir cette rage de marquer.

Vous dites que plus jeune vous préfériez faire des passes décisives mais, aujourd’hui, entre deux offrandes ou un but, vous choisissez quoi ?
Un but. C’est ce qui compte le plus. Si je peux faire deux passes décisives, je vais les faire, mais, en tant qu’attaquant, il faut que je marque.

« Les supporters ? J’avoue que depuis le début de la saison, ça me perturbe un peu, je dois davantage me concentrer »

Préparez-vous vos matchs en fonction de l’adversaire, du gardien, des défenseurs ?
Pas spécialement. Après, l’analyste vidéo du club (Robin Freneau) nous envoie parfois des séquences sur les défenses adverses. Je les regarde tranquillement chez moi. Ça me permet de comprendre comment les défenseurs se comportent, tout comme le gardien. Si je vois que c’est un gardien qui sort vite, j’essaye de le retenir.

Pour un jeune attaquant, est-ce difficile de rester concentré pendant 90 minutes ?
Oui… En plus, lors de ma première saison, il n’y avait pas de supporter, les stades étaient à huis clos, alors que maintenant le public est de retour. J’avoue que depuis le début de la saison, ça me perturbe un peu, je dois davantage me concentrer. Ça nous aide mais c’est impressionnant. Je n’avais pas cette habitude mais petit à petit j’arrive à faire abstraction. Ce n’est pas un problème de pression, car j’arrive à la gérer, mais vraiment d’attention. Parfois, au lieu de rester focalisé sur le ballon, je vais porter mon attention sur quelque chose. Heureusement, j’arrive vite à me remettre dedans.

Y a-t-il un type de défenseur que vous n’aimez pas avoir face à vous ?
Les défenseurs qui collent beaucoup, qui veulent toujours te rentrer dedans. Ils sont difficiles à gérer. Pour les perturber, j’essaie d’être tout le temps en mouvement puisqu’ils ne peuvent pas dézoner partout, aller à gauche ou à droite, ils doivent rester dans l’axe, alors que je suis plus libre en tant qu’attaquant.

Justement, avez-vous le sentiment que les défenseurs commencent à mieux vous connaître ?
Oui ! J’ai pu le remarquer face au Stade de Reims, notamment. Ils me laissent moins d’espaces, anticipent la profondeur et n’hésitent pas à venir à deux ou trois sur moi. Je pense que les clubs ont fait des vidéos sur moi, c’est normal. Il faut que je continue de travailler pour réussir à conserver cet effet de surprise et mon influence sur le jeu. Je vais devoir franchir cette étape logique.