Pascal Faure (préparateur physique).
Interview

Pascal Faure : « La préparation invisible, c’est 80% de la performance »

Pascal Faure : « La préparation invisible, c’est 80% de la performance »

Interview
Publié le 23/02 à 10:51 - N. Maître

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Préparateur physique de l’ESTAC Troyes, Pascal Faure dévoile les coulisses de son métier. Au club depuis 2016, il se livre sur son rôle, son parcours, sa méthodologie, l’importance de la préparation invisible ou encore l’utilisation de la data.

Arrivé à l’ESTAC Troyes dans les bagages de Jean-Louis Garcia lors de l’été 2016, Pascal Faure est depuis un élément incontournable du club de l’Aube. Passé par l’AS Cannes, Angers SCO ou encore le RC Lens, il s’occupe aujourd’hui « de tout le département de la performance » de l’actuel 17e de Ligue 1 Uber Eats. Animé par la volonté de parvenir à faire adhérer les joueurs à sa méthodologie, celui qui permet aux Troyens d’exprimer la plénitude de leur talent raconte, dans un entretien réalisé en début de saison, les coulisses de son métier.

Pascal Faure, quel est le rôle d’un préparateur physique au quotidien ?
Aujourd’hui, les staffs étant de plus en plus étoffés, il y a généralement deux ou trois préparateurs physiques. Ils ont chacun des missions différentes, comme la réathlétisation ou l’analyse des charges d’entraînement. Ici, à l’ESTAC, on est trois. Je m’occupe de tout le département de la performance au niveau du club. Cela comprend la gestion du diététicien, du psychologue et des kinésithérapeutes, ainsi qu’une collaboration avec le médecin. Je dois coordonner l’ensemble. La clé de voûte de la gestion physique des joueurs, c’est la communication. Mon objectif, c’est d’échanger avec tout le staff pour avoir un maximum d’informations sur la santé et la forme physique des joueurs pour pouvoir les remonter à l’entraîneur principal. Ensuite, il y a cette notion de préparer les joueurs du mieux possible pour la compétition et de faire en sorte qu’ils se blessent le moins possible.

Pouvez-vous nous raconter comment vous êtes devenu préparateur physique ?
Je suis issu d’une famille de passionnés de foot. Mon père était entraîneur dans un village du Sud où j’ai longtemps habité. Forcément, je voulais devenir footballeur professionnel, mais je n’avais pas les qualités techniques pour. Donc, je suis devenu éducateur, puis entraîneur et, comme j’avais envie de vivre de ma passion, je me suis orienté vers la préparation physique. A l’époque, cela n’existait pas vraiment, on voyait des personnes qui venaient de l’athlétisme arriver dans le foot, à l’image de Georges Gacon. J’ai essayé de me former par moi-même. Car avant que Gilles Cometti ne crée le centre d'expertise de la performance, qui a apporté un savoir-faire et une méthodologie autour de la préparation physique de haut niveau, il n’y avait pas de formation. Tout était basé sur les connaissances de l’athlétisme. Mais petit à petit, j’ai fait des formations universitaires autour de la préparation physique.

Vous avez ensuite connu diverses expériences…
J’ai commencé en 2002 à Alès avec René Marsiglia en National, puis je l’ai suivi à l’AS Cannes jusqu’en 2007. Dans la foulée, j’ai rejoint Angers SCO, où j’ai exercé pendant quatre saisons avec Jean-Louis Garcia en Ligue 2 avant de l’accompagner au RC Lens en 2011. Après, j’ai connu une période moins favorable, puisqu’avec Jean-Louis, on n’a pas retrouvé de club rapidement. En 2014, je suis parti au Mouloudia d’Alger en tant qu’entraîneur adjoint de l'équipe professionnelle durant quatre mois, avec un coach que j’avais connu quelques années auparavant, et on a remporté la coupe d'Algérie. Grâce à cela, j’ai intégré en septembre 2014 la fédération algérienne au poste de directeur de la performance pour participer au projet olympique de l'équipe nationale qui avait pour objectif de se qualifier pour les JO de Rio en 2016. C’était une aventure humaine et footballistique exceptionnelle. Je suis resté trois ans et on s’est qualifié. Puis, au moment où on devait partir aux JO, Jean-Louis Garcia est arrivé à Troyes et je l’ai rejoint. Donc, je suis au club depuis 2016. Et, cette fois, quand Jean-Louis est parti en 2018, j’ai décidé de rester.

« Ma collaboration avec Rui Almeida m’a apporté un éclairage fabuleux »

Vous avez longtemps collaboré avec Jean-Louis Garcia. Est-ce un avantage d’être lié à un entraîneur ?
Oui ! On sait que lorsque cette personne retrouve un poste, elle va généralement avoir envie de travailler avec vous. Cela permet de vivre des expériences humaines appréciables. Vous avez des habitudes de travail et une vraie amitié qui vous lie avec l’entraîneur. Après, c’est aussi intéressant de travailler avec d’autres coachs. Il faut s’adapter à des méthodologies différentes et cela oblige à se remettre davantage en cause. A la suite de mon passage à Angers et Lens avec Jean-Louis, mon expérience en Algérie m’a obligé à m’adapter à un contexte que je ne maîtrisais pas. C’était très très intéressant d’un point de vue professionnel. Ma collaboration avec Rui Almeida, un entraîneur étranger qui prône la périodisation tactique, m’a également apporté un éclairage fabuleux. Toutes les séances étaient avec ballon, même si j’étais déjà très axé sur la préparation avec ballon, cela m’a fait grandir et développer d’autres méthodologies. Je me souviens que dès le premier entraînement, on avait fait que du jeu, j’avais tremblé toute la séance. Mais aucun joueur ne s’était blessé. La périodisation tactique permet d’individualiser la préparation dans un cadre collectif en mettant en place des situations et des jeux qui collent à des séquences auxquelles les joueurs sont confrontés en match.

Quels sont les moments forts de la saison dans votre organisation ?
Par le passé, on avait coutume de dire qu’il fallait faire une grosse préparation l’été pour être prêt toute la saison, mais ce n’est plus vraiment le cas. Maintenant, le but, c’est de faire une bonne prépa pour que les joueurs se blessent le moins possible mais sans forcément avoir une grosse charge de travail. Ce n’est pas un mois de prépa qui va conditionner les dix mois suivants. C’est tout ce qui est fait au quotidien. Il faut arriver à ce que les joueurs soient toujours frais mentalement et physiquement à la fin de la compétition. Chaque étape est très importante, il n’y a pas un moment plus essentiel qu’un autre. Il faut vraiment gérer les joueurs de la manière la plus précise jour après jour. Tout ce qui est fait, que ce soit le travail en salle, sur le terrain ou en récupération invisible, doit être précis pour qu’il n’y ait pas de choses faites en trop. Car tout ce qui va être fait en trop ou en moins risque d’être un handicap sur la durée de la saison.

Il doit tout de même exister des différences entre le travail d’avant-saison et celui au quotidien ?
Elle n’est pas aussi grande que ce que l’on peut penser. Lors de la préparation estivale, on va faire attention à mettre en place la structure athlétique du joueur. On va construire son physique pour éviter toute blessure. C’est indispensable, et à partir de cette base on va pouvoir lancer notre saison. Mais je me suis aperçu que faire une prépa qui ressemble à des semaines habituelles n’entraîne pas de différence sur la durée. Au contraire, je trouve même qu’on est mieux sur la fin de saison. L’idéal, c’est que les joueurs soient toujours à 90-95% de leur maximum physique. Il faut être cohérent sur l’ensemble du championnat. Si les joueurs ont un pic de forme, cela veut dire qu’ils vont être moins bien à un moment dans la saison. Ce n’est pas le but, il faut être linaire.

Comment gère-t-on l’intégration des recrues arrivées en fin de mercato ?
C’est très compliqué. D’ailleurs, c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles les préparations sont moins longues qu’avant, puisqu’on débute la saison avec certains joueurs, puis à la fin 50% de l’effectif a changé. Quand un joueur arrive, le premier objectif, c’est de l’évaluer d’un point de vue médical et physique. Ensuite, il faut faire en sorte qu’il arrive assez rapidement dans le groupe d’entraînement mais pas trop vite non plus. L’entraîneur a besoin d’avoir une ligne directrice, de savoir quand le joueur pourra intégrer l’équipe ou disputer 90 minutes. Il va accepter ce qu’on prévoit de mettre en place mais, en fonction de ses besoins et des résultats, il peut bouleverser ce qu’on avait planifié. De son côté, le joueur peut aussi se montrer impatient et dire qu’il est prêt au bout de dix jours. Donc, il faut gérer la frustration du coach qui veut pouvoir utiliser la totalité de son effectif et celle du joueur. Mais souvent le joueur n’a pas fait grand-chose depuis plusieurs semaines, il faut d’abord le réhabituer à l’effort. Dans ce cas-là, c’est de la gestion individuelle. Comme mon travail est davantage centré sur le groupe de joueurs aptes, c’est Mathieu Dubarry qui s’occupe individuellement des recrues en manque de condition physique et des retours de blessure. Par exemple, l’été dernier, Adil Rami avait travaillé pendant une quinzaine de jours individuellement avant de progressivement intégrer le groupe.

« La préparation invisible demande une adhésion individuelle et personnelle »

Comment gérez-vous le fait qu’un joueur ne doive pas prendre trop de masse musculaire pour garder sa fluidité ?
Je ne suis pas un grand fan de la musculation à outrance. Ici, pour le renforcement des jambes ou du haut du corps, ils sont encadrés. Si un joueur veut travailler quelque chose, on peut répondre à ses besoins. Mais le but, c’est de lui expliquer qu’il faut avoir une forme de masse optimale. Prendre trop de masse musculaire signifie être plus lourd et peut entraîner le risque de blessure. Car plus on est lourd, plus on doit fournir d’effort pour se déplacer et accélérer, donc on est plus rapidement fatigué et on récupère plus difficilement. C’est comme quand on boit de l’eau pendant un effort, il faut en boire suffisamment mais pas trop, car cela peut jouer sur la performance. La musculation, c’est un énième domaine de la préparation où il faut trouver le bon équilibre.

Bien que les joueurs soient désormais très entourés. Ont-ils toujours conscience de l’importance d’être en bonne condition physique ?
Mon ressenti à ce sujet fluctue au fil de la saison. A la reprise, tout le monde est très ouvert et très content de découvrir la méthodologie adoptée pour la saison, puis dès qu’on approche de l’hiver, on sent une forme de lassitude apparaître. C’est ce qu’il faut réussir à gérer. A ce moment-là, il faut mettre en place des situations avec moins de contraintes et apporter plus d’animations pour ne pas rester dans l’aspect des exercices purs. Après, la difficulté des sports collectifs, c’est la compétition. Si vous êtes dans une phase de résultats positifs, vous pouvez tout proposer et ce sera accepté. A l’inverse, si les résultats sont négatifs, vous pouvez mettre des choses géniales en place, cela sera moins bien accepté. Mais, au fond, tous les joueurs savent qu’outre leur talent, la condition physique est le deuxième élément le plus important.

Pouvez-vous nous expliquer l’importance de l’hydratation, de la nutrition et du sommeil ?
Ce sont les éléments qui correspondent à la préparation invisible. Aujourd’hui, c’est important que tous les acteurs du football soient le plus précis et le plus rigoureux possible autour de cela. Boire suffisamment et correctement, récupérer, bien dormir et bien manger : c’est 80% de la performance. Tout part de là. Ce sont des choses dont tout le monde a conscience mais, comme on n’en perçoit pas rapidement les bienfaits, certains mettent plus de temps à l’assimiler. Dans la préparation invisible, le joueur doit se prendre en charge presque lui-même, et c’est bien souvent ce qui est le plus difficile pour lui. Cela demande une adhésion individuelle et personnelle. Par exemple, il faut apprendre à bien manger. Au club, on a un diététicien qui est régulièrement présent pour accompagner le groupe, mais on ne peut pas en offrir un à chaque joueur au quotidien.

« Pour contrôler et évaluer la charge d’entraînement, on est forcément collé à la data »

De manière générale, quelle place accordez-vous à la data ?
Pour tout ce qui est préparation physique et performance, on a toujours été ouvert à la data. Comme on travaille principalement avec le ballon tout ce qui est physique, on en a encore plus besoin. Pour contrôler et évaluer la charge d’entraînement, on est forcément collé à la data tous les jours. C’est ce qui nous permet de planifier les séances à venir. Ayant connu l’époque où on n’utilisait pas de GPS ou de données d’évaluation liées à la force et à la variabilité cardiaque, je peux vous dire qu’aujourd’hui tout est beaucoup plus précis dans notre analyse. Si vous n’avez pas de GPS, vous ne pouvez pas faire de préparation physique intégrée aux entraînements avec ballon et sous le système de la périodisation tactique. C’est impossible.

Tous les joueurs sont donc équipés de GPS aux entraînements ?
Oui. L’année dernière, j’utilisais le système Polar avec lequel j’avais une tablette avec toutes les données en direct. Et cette saison, on est passé chez ASI avec leur AdMosLive. Ce sont des nouveaux GPS avec une plateforme qui me donnent tous les chiffres individuels de manière instantanée. Il y a les données de la charge d’entrainement pour tous les joueurs, mais aussi une comparaison entre ce qu’ils font habituellement en match et ce qu’ils sont en train de faire. Cela me permet de savoir s’il faut rajouter ou supprimer une séquence jouée pendant l’entraînement. C’est-à-dire que je peux légèrement modifier la séance en fonction des données que je vais avoir. De cette manière, je vois aussi les joueurs qui ne sont pas en forme et je peux leur glisser un mot pour savoir comment ils vont ou les inciter à faire plus s’ils ont tendance à s’endormir. Mais c’est un élément qui constitue seulement 5% de mes interventions au cours d’une séance. Le plus important, c’est le feed-back qu’on va avoir après l’entraînement avec les données. En plus, toutes les données étant préanalysées, je peux très rapidement dresser un bilan pour voir ce qu’on va devoir travailler lors du reste de la semaine.

Avez-vous un exemple de lecture des données à l’issue d’une séance ?
Il y a plusieurs moyens de les lire. Par exemple, pour une séance un peu plus poussée à J-3, si un joueur à l’habitude de faire 200 mètres en sprint et qu’il n’en fait que 50 aujourd’hui, on va se poser des questions. C’est-à-dire qu’on va se demander si la structure de l’entraînement a bien répondu à ce qu’on voulait travailler et si le joueur était dans la capacité de faire 200 mètres en sprint. Parfois, la réponse est non, cela veut dire qu’on a mal calibré la séance. Et à l’inverse, s’il pouvait le faire, on va se dire pourquoi il ne l’a pas fait. A-t-il un souci ? Est-ce qu’il n’est pas en forme ? Dans ce cas, il suffit d’aller le voir et d’échanger. Cela peut être simplement l’accident d’une séance ou révéler que le joueur n’est pas en forme, voire blessé. De toute façon, même si c’est une petite séance, les joueurs vont avoir leur GPS pour confirmer que la charge d’entraînement était suffisamment basse.

« Il faut tout le temps se renouveler et revoir sa méthode »

Beaucoup de joueurs font désormais appel à des préparateurs physiques personnels. Quel est votre regard sur cette prépa supplémentaire ?
Normalement, si le staff construit bien ses séances et si le joueur travaille sérieusement, il n’y a pas besoin d’apporter des éléments extérieurs pour plus travailler. Quand les joueurs font leur séance au club, il faut qu’ils donnent tout ce qu’ils ont à donner. S’ils ont suffisamment fait d’efforts, ils ne doivent pas avoir d’éléments à travailler en dehors, puisqu’ils sont censés être fatigués. Après avoir travaillé au club, il faut récupérer, faire des soins et respecter le protocole du préparateur physique de l’équipe pour pouvoir réussir ce qui va être demandé le lendemain. Si le joueur a besoin de prendre un préparateur physique, c’est parce qu’il a besoin de se rassurer ou bien qu’il souhaite se donner bonne conscience. Mais ça veut dire qu’il ne fait peut-être pas suffisamment les choses à l’entraînement ou qu’il estime que le staff ne répond pas à ses attentes. C’est pour ça que mon rôle est d’apporter un maximum de choses aux joueurs pour qu’ils ne ressentent pas ce besoin d’avoir recours à une autre personne. Le problème d’avoir un prépa physique indépendant est que s’il fait travailler les membres inférieurs un jour et que le lendemain on prépare une séance similaire, cela va entrer en contradiction avec ce qu’on met en place et fausser notre travail. Il n’y a pas d’harmonie et, à ce moment-là, le joueur risque de se blesser.

Pour finir, quel est l’aspect de votre métier qui vous procure le plus de plaisir ?
C’est de réussir à relever le défi qui se présente au groupe chaque saison. C’est-à-dire que l’année dernière, tenter de remonter en Ligue 1, c’était une mission passionnante. Cette saison, parvenir à se maintenir, c’est également une mission que je veux relever. Tout ce qu’on met en place chaque saison pour parvenir à atteindre un objectif me passionne. D’une saison à l’autre, ce n’est jamais la même chose, il faut tout le temps se renouveler et revoir sa méthode. Parvenir à faire adhérer les joueurs à sa méthodologie et arriver à participer au maintien du club à l’issue de la saison, c’est motivant.

(Photo : ESTAC)