Interview

OL : Dans les coulisses du métier d'intendant

OL : Dans les coulisses du métier d'intendant

Interview
Publié le 15/06 à 11:46 - Arnaud Di Stasio

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Le métier d’intendant, son parcours original, les rituels de Benzema, Dembélé ou Gomis, ses anecdotes de débrouille… Entretien avec Jérôme Renaud, qui a bouclé sa 16e saison avec l’Olympique Lyonnais.

Quelle est votre histoire avec l’Olympique Lyonnais ?
Depuis tout petit, je suis fan de football et supporter de l’OL. Je suis né à Lyon de parents lyonnais et j’ai toujours vécu à Lyon. Je suis un grand passionné de l’OL, un club que j’ai commencé à aller voir à Gerland très tôt ! C’était donc un immense honneur lorsque j’ai été embauché comme intendant à l’OL quelques années plus tard, juste avant la saison 2006/2007, sous Gérard Houllier. Je suis arrivé en tant qu’intendant adjoint pour seconder Guy Genet, qui m’a appris les ficelles du métier. Guy a un lien très fort avec l’OL puisqu’il a été joueur professionnel au club, comme son père Lucien, et son fils Alexis a également fait une carrière pro après avoir été formé à l’OL.

Comment vous êtes-vous retrouvé intendant à l’OL ?
J’ai un parcours particulier puisque j’ai d’abord été boucher puis je me suis engagé dans l’armée. A mon retour, j’ai enchaîné plusieurs boulots pour la ville de Lyon grâce au football, puisque je jouais en district dans la Ligue Rhône-Alpes. J’ai eu pour coéquipier le fils de Bernard Lacombe, Sébastien, de qui je suis proche. Grâce à lui, j’ai pu mettre un pied dans le milieu OL et quelques années plus tard, à 32 ans, j’étais au bon endroit au bon moment lorsque la porte s’est ouverte…

« Quand on sait qu’un joueur n’est pas bien… »

Quelle est votre définition du métier d’intendant ?
Il faut être passionné, dévoué et organisé. Il faut aussi être à l’écoute. C’est un métier humain. Notre porte est toujours ouverte, que ce soit pour déconner quand tout le monde est content après une victoire ou que ce soit pour échanger avec les joueurs qui vont moins bien, parce qu’ils jouent moins par exemple. On est toujours à l’écoute. On fait partie du staff sans être entraîneur, ce qui nous permet d’avoir ce rôle-là. L’écart d’âge avec les plus jeunes de l’effectif grandit mais on est ouverts d’esprit. On peut parler de tout : foot, vie de couple, enfants… Quand on sait qu’un joueur n’est pas bien, on fait de notre mieux pour le soutenir.

Au-delà de cet aspect humain, en quoi consiste votre métier exactement ?
Le plus gros du travail en présaison, c’est l’arrivée du matériel. Au mois de mars, tout est déjà commandé pour la saison suivante. Tout ce matériel est livré lors de la seconde quinzaine de juin généralement. Nous, les intendants, on reprend 15 jours avant les joueurs et on commence par le rangement : par type d’équipement, par taille… On passe aussi beaucoup de temps à préparer les stages de début de saison. Pendant la préparation, il y a également une grosse partie flocage, pour préparer le paquetage des joueurs, avec aussi bien les numéros que les sponsors à appliquer sur les tenues. C’est un gros boulot qui demande beaucoup d’organisation.

Vous floquez tous les maillots dont vous aurez besoin pour la saison dès l’été ?
Non, on fonctionne au fur et à mesure. On floque beaucoup de tenues d’entraînement à la reprise. Tout est vite prêt à ce niveau. Pour ce qui est des tenues de match, on essaie de prendre de l’avance sur le mois qui vient. On profite notamment des trêves internationales. Mais en tout début de saison, tous les sponsors ne sont pas forcément validés. Quand on réceptionne les nouveaux maillots, ils sont complètement vierges. On fait floquer les sponsors par une société extérieure puis on s’occupe des badges, des numéros et des noms. Pour un match, c’est un groupe de 20 joueurs environ qui est convoqué et ça peut prendre une matinée entière à l’intendant qui s’occupe du flocage.

« 70 jeux de maillots par match »

Combien de maillots emmenez-vous par match ?
On emmène trois jeux de maillots par joueur de champ : un pour chaque mi-temps et un de secours. Pour les gardiens, la couleur des équipements est validée à l’avance par les clubs avec la LFP mais ça reste à la discrétion de l’arbitre, qui peut demander à changer avant le match s’il estime que la couleur est trop proche de celle de son maillot ou de celle du gardien adverse. On emmène donc des jeux de maillots de trois couleurs différentes, soit 9 jeux de maillots par gardien. On emmène aussi quelques maillots vierges au cas où. Au total, ça fait environ 70 jeux de maillots par match.

Quel volume ça représente pour une saison entière ?
On commande environ 5 000 maillots par saison. On prévoit de jouer tous nos matchs de la saison, en allant le plus loin possible dans chaque compétition, en maillot domicile. Et ensuite, il y a les maillots extérieurs et thirds.

Les joueurs offrent-ils tous leurs maillots de match ?
On se met d’accord en début de saison mais on fonctionne au résultat généralement. Quand on est sur le podium, les joueurs peuvent garder les deux maillots portés pendant le match. Si on n’est pas sur le podium mais qu’on fait un gros résultat, c’est normal qu’il y ait une récompense. Dans les autres cas, on essaie de garder les maillots ou on les facture aux joueurs car on sait qu’ils sont très sollicités pour les offrir. C’est le deal. Mais aujourd’hui, c’est rare qu’un maillot fasse plus de deux matchs !

Pour revenir à votre travail au quotidien, comment s’organise votre équipe ?
Deux ou trois ans après mon arrivée, Guy Genet est passé d’intendant à régisseur, ce qu’on appelle aussi team manager dans certains clubs. Je me suis donc retrouvé seul pendant quelques temps mais l’équipe s’est élargie au fil des années et, aujourd’hui, nous sommes trois avec Lotfi Eladjabi et François Lopez. Le team manager s’occupe de l’équipe du point de vue administratif et des relations avec le club ou l’extérieur. Et nous, les intendants, on s’occupe de tout ce qui est matériel et équipements. Il faut aussi parler de la laverie, un gros boulot. Beaucoup d’intendants lavent eux-mêmes mais nous, à l’OL, on a une personne dédiée.

Comment les tâches sont-elles réparties entre les trois intendants ?
Chacun doit savoir tout faire et il faut que l’on travaille tous de la même façon. Je range quelque chose à un endroit mais, le jour où je ne suis pas là, il faut que Lotfi ou François fonctionnent pareil. Si chacun met sa petite touche, ça peut devenir un problème. Personne ne doit être perdu. Ensuite, on se dispatche les rôles. Lotfi et moi faisons tous les matchs sauf cas exceptionnels. François est souvent là pour nous soulager, par exemple certains lendemains de matchs à l’extérieur lorsque certains joueurs viennent au centre d’entraînement pour un décrassage. On s’occupe tous de la préparation au quotidien. La semaine, il y a un roulement entre le lavage et le rangement du matériel qu’on a utilisé pour les matchs et la préparation des affaires pour les rencontres suivantes. Quand on joue tous les trois jours, ça revient vite !

« L’intendant est le premier arrivé et le dernier parti ! »

Le rythme doit être effréné…
En fin de saison, on s’arrête après les joueurs car il faut ranger tout ce qui a été utilisé et, en début de saison, on reprend avant eux. On essaie de s’organiser au mieux mais on est souvent tributaires de notre fournisseur. Plus tôt les équipements sont livrés, plus tôt on peut ranger, prendre de l’avance et partir en vacances soulagés. Malheureusement, ça n’arrive pas tout le temps donc on s’adapte. L’intendant est le premier arrivé et le dernier parti !

A quoi ressemble un jour de match ?
On bosse beaucoup en amont, c’est une sécurité pour ne rien oublier. A domicile, on arrive au Groupama Stadium très tôt pour installer le vestiaire, au moins deux heures avant les joueurs alors qu'eux arrivent une heure et demie avant le match en général. Le pliage est effectué lors des jours précédents et quand on arrive au stade, on n’a plus qu’à ouvrir nos caisses, déballer et installer. On vient en avance pour prendre notre temps, faire en sorte que tout soit joli dans le vestiaire. Je suis très tatillon. J’aime quand c’est carré, quand tout est bien propre. Ensuite, il y a de l’ajustement, en fonction de la météo, des désirs de chaque joueur… On sait ce que chaque joueur aime mais il y a parfois des demandes particulières auxquelles il faut s’adapter. Des gants pour untel, un slip comme ci, un cuissard comme ça… On prend de la marge pour ne pas être pris par le stress, le speed du match… Même si on ne joue pas, on ressent cette excitation. Une fois que tout est prêt, on s’éclipse et on laisse la place aux artistes !

Que se passe-t-il pour vous une fois que le match commence ?
Je suis les rencontres depuis le banc de touche. Je m’occupe un peu du relationnel avec les arbitres, des changements. Avant la mi-temps, Lotfi rentre aux vestiaires pour ranger ce qui traîne et installer ce dont le coach peut avoir besoin à la pause, préparer un tableau par exemple. Une fois que les joueurs sont dans le vestiaire, on répond aux éventuelles demandes, comme le changement des sous-maillots. Le plus gros du travail arrive à la fin du match. Il faut tout ranger, tout remballer, faire partir au lavage ce qui doit être lavé et remettre tout à sa place, changer ce qui doit être changé…

« Tout anticiper, même ce qui ne doit pas arriver »

Vous évoquiez les besoins des coachs à la pause. Peter Bosz a-t-il des demandes particulières ?
Pas spécialement. Chaque coach a ses habitudes mais une fois qu’on sait ce que le coach veut, c’est rare qu’on ait des surprises. Et ça fait partie du jeu de s’adapter. On aime bien quand il y a un peu d’inattendu pour voir si on va être réactifs, si on avait tout prévu, si on avait anticipé. Notre rôle, c’est de tout anticiper, même ce qui ne doit pas arriver. Le jour où ça arrive, on doit être prêt.

Quelles sont les situations les plus originales auxquelles vous avez dû faire face ?
Il est déjà arrivé qu’un joueur oublie de ramener ses chaussures à crampons pour un 8e retour de Ligue des champions à Manchester. Il avait oublié de nous les remettre et on ne s’en était pas aperçu. Quand on s’en est rendu compte, on a fait 2-3 magasins dans les alentours et on a eu la chance de trouver une boutique de l’équipementier du joueur. On a réussi à trouver la version replica de sa paire de chaussures mais ça a fait l’affaire, personne n’a rien vu ! Quand un truc comme ça arrive, tu te prends un bon coup de chaud mais une fois que c’est réglé, ça fait sourire, ça montre qu’on peut être réactif dans une situation inattendue. Ça nous est aussi déjà arrivé d’emmener des gants pour un match en plein mois d’août, sous 30 degrés, et que Tanguy Ndombélé nous en demande. Il est un peu frileux. Un bonnet ou une paire de gants en plein été, ça peut arriver avec lui, c’est marrant !

Avez-vous une autre anecdote de débrouille en tête ?
Récemment, il y a eu une petite erreur de flocage avec un maillot de Moussa Dembélé. Il manquait l’accent aigu sur un E. Quand on s’en rend compte, ça met un petit coup d’adrénaline mais on réussit toujours à se débrouiller. On découpe à un endroit, on met un petit coup de fer à repasser, on trouve toujours une solution ! A domicile, on amène tellement de matériel qu’il ne peut pas y avoir d’erreur logiquement. Normalement, on est trois à vérifier. Si c’est une petite erreur qui n’empêche pas le joueur de jouer, ce n’est pas bien méchant, ça peut arriver à tout le monde.

« J’ai gardé contact avec Lisandro López »

Quels joueurs vous ont le plus marqué ?
Il y en a beaucoup ! Je marche beaucoup à l’humain et notre poste veut qu’on ait cette proximité avec les joueurs. Sans ça, notre métier serait beaucoup plus lassant. J’ai rencontré tellement de joueurs avec qui des affinités se sont développées… Des joueurs m’ont même invité à leur mariage. C’est extraordinaire car tu dépasses la relation professionnelle et même culturelle. On a la chance de faire un métier dans lequel on côtoie des gens qui viennent d’horizons différents, de cultures différentes, de pays différents, avec des religions différentes… Quand le côté humain prend le dessus, il n’y a plus de frontière. Il y a plein de joueurs avec qui j’ai gardé contact, comme Sidney Govou, Rémy Vercoutre, Juninho, Cris…

Qui d’autre ?
Fabio Grosso ! Il est arrivé à l’OL peu après avoir gagné la Coupe du monde avec l’Italie mais il ne s’est jamais considéré au-dessus et on a créé un lien extraordinaire… Humainement, c’est très fort. J’ai gardé le contact avec beaucoup, que ce soit ceux qui sont encore dans le coin ou d’autres comme Lisandro López, Rafael… Même s’ils sont repartis au pays, on se fait un petit Facetime de temps en temps. On a la chance de pouvoir communiquer facilement aujourd’hui. C’est extraordinaire de pouvoir échanger quand on sent que c’est sincère, sans tricher.

Quand un nouveau joueur arrive, on intègre vite ses petites habitudes ?
On montre aux nouveaux notre façon de travailler et s’ils ont des habitudes particulières, on s’adapte. Ce sont des petites choses qu’on repère dès les premiers matchs : « Ah, il coupe ça comme ça. Ok, on va s’en occuper pour lui la prochaine fois ». Il y a aussi des habitudes qui varient avec la météo. Et puis, certains rituels se créent naturellement avec certains joueurs en pleine confiance, qui enfilent les buts... Si tu touches la chaussure d’un joueur avant un match et qu’il marque, il va vouloir que tu touches ses chaussures avant le match suivant. A l’inverse, tu vas essayer d’avoir une petite attention pour un joueur qui n’est pas bien. Ça fait partie de notre boulot. On ne décide pas qui joue ou pas mais on essaie de mettre les joueurs dans les meilleures dispositions, qu’ils se sentent le mieux possible.

« Il fallait que je garde les chaussures de Karim Benzema avec moi »

Quels joueurs ont ces rituels par rapport à leurs chaussures ?
C’est arrivé avec Bafétimbi Gomis et Karim Benzema notamment. Ils voulaient que personne d’autre que moi ne touche leurs chaussures. Celles de Karim, il fallait que je les garde avec moi. A une période, il fallait aussi qu’on mette les chaussures de Moussa Dembélé de côté, qu’on ne les mélange pas avec les autres, qu’on les installe à la dernière minute. Mais le premier à faire ça, c’était Karim.

Y a-t-il d’autres rituels ou superstitions que vous avez pu observer dans le vestiaire ?
La jeune génération est moins superstitieuse. Le plus touchant pour moi, c’était Bafé Gomis, qui était très croyant, très pratiquant. Avant chaque match à domicile, il allait à la Basilique Notre Dame de Fourvière chercher des cierges pour me les remettre. Et quand il arrivait dans le vestiaire, on lui allumait son cierge. Si ça lui faisait du bien, tant mieux. C’est un partage extra-sportif indirectement… Moussa Dembélé aime bien avoir son petit chewing-gum avant les matchs. Je les emmène dans ma poche et il les prend une fois arrivé sur le terrain. Il y a des petits trucs comme ça. Ce n’est pas grand-chose mais si ça leur permet d’être à 100%... Je pense que c’est plus un truc d’attaquant. Il y a le feeling du but. Si un attaquant fait quelque chose avant le match et qu’il met un but qui va faire gagner son équipe, il le refera. On dit que les gardiens sont spéciaux mais les attaquants aussi ! Je ne sais pas si ça fait partie des superstitions mais certains accordent beaucoup d’importance à leur place dans le vestiaire.

C’est-à-dire ?
Beaucoup de joueurs aiment être positionnés au même endroit. Il y a ceux qui veulent être dans les angles, ceux qui veulent être proches de la porte. C’était le cas d’Islam Slimani. Le problème, c’est qu’il y a un début et une fin, tout le monde ne peut pas être près de la porte (rires). On essaie de gérer au mieux, de placer les joueurs par affinités. Au début, on les laisse faire pour voir qui aime s’asseoir avec qui. A l’inverse, c’est déjà arrivé qu’un coach nous demande de ne plus mettre certains joueurs ensemble, pour éviter qu’ils se dispersent ou qu’ils sortent trop de leur préparation. Et ça ne concerne pas uniquement les jeunes (rires).

« C’est compliqué de s’endormir après un match pour nous aussi »

Tout à l’heure, vous disiez que vous suiviez les matchs depuis le banc de touche…
Oui, j’ai commencé sous Claude Puel. C’est kiffant de vivre les rencontres du banc… Il y a de l’activité, des échanges avec les joueurs ou les membres du staff… Lorsque tu suis un match à côté de certains grands du foot comme Joël Bats, tu apprends énormément, sur le positionnement, l’analyse du jeu… Ils anticipent tellement, ils ont une telle réactivité sur ce qu’il faut changer. Joël Bats m’a marqué car il échangeait beaucoup.

Quels sont vos meilleurs souvenirs de banc ?
En tant que lyonnais, j’ai vécu des derbys magnifiques, de superbes ambiances… Je me souviens d’un quart d’Europa League à Beşiktaş extraordinaire. C’était magique comme ambiance. Quand tu te qualifies, tu vis des moments magnifiques, aussi bien en Coupe de France qu’en Ligue des champions. Quand tu élimines Manchester City et que tu te retrouves contre le Bayern, c’est quelque chose… C’est la récompense de tout un travail. C’est un tel privilège de vivre ces moments-là aux premières loges. Même si on n’est qu’intendant et qu’on ne joue pas, l’adrénaline est là et c’est compliqué de s’endormir après un match pour nous aussi.

 

INTENDANT DE L’OL EN CHIFFRES :

- 300 ballons par saison : 150 en début de saison puis 150 pour la seconde moitié de saison (sans compter d’éventuels réassorts)
- 50 à 60 ballons par match : 16 pour chaque équipe (20 pour les matchs de coupe d’Europe) et une douzaine de ballons pour la rencontre
- 5 000 maillots commandés par saison
- 70 jeux de maillots emmenés par match officiel
- 10 malles de 30 kg chacune et une dizaine de sacs pour emmener le matériel nécessaire pour un match
- 1h à 1h30 pour disposer le vestiaire avant un match (sans compter les préparatifs en amont)

(Photo : OL)