Interview

Jérôme Alonzo : « Donnarumma réussit des arrêts impossibles ! »

Jérôme Alonzo : « Donnarumma réussit des arrêts impossibles ! »

Interview
Publié le 22/02 à 17:46

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Consultant pour Prime Video, l’ancien gardien du PSG et de l’OM Jérôme Alonzo est l’un des mieux placés pour évoquer Pau Lopez et Gianluigi Donnarumma avant le Classique de dimanche en Ligue 1 Uber Eats.

Quel regard portez-vous sur les deux gardiens qui vont s’opposer dimanche à 20h45 lors du Classique à l’Orange Vélodrome ?
Pour être honnête, Pau Lopez me surprend. Je ne le voyais pas arriver à ce niveau. Je trouve qu’il y a eu un vrai tournant lors du match aller contre le PSG, où je l’ai trouvé très bon, aussi bien dans son attitude que dans son jeu de gardien. Il a prouvé quelque chose. Je pense qu’il a compris qu’à l’OM un gardien ne pouvait pas être neutre, ni sur le terrain, ni dans le vestiaire, mais devait être un patron. A Marseille plus qu’ailleurs, le gardien est quelqu’un qui doit prendre beaucoup de place, comme le faisait Mandanda à ses grandes années.

Et concernant le Parisien Gianluigi Donnarumma ?
C’est un cas particulier. Il est arrivé au club alors qu’il y avait déjà un monstre à son poste (Keylor Navas). Il était au cœur d’une polémique qu’il n’a pas déclenchée sur les gardiens n°1 et n°1 bis. Et je trouve que sa progression a été ralentie à cause de ça. Il pourrait être encore meilleur aujourd’hui. Car un jeune gardien ne progresse pas autant dans une saison en jouant 40 ou 25 matchs…Il est toujours à un très haut niveau, mais pas à un niveau supérieur de celui qu’il avait à l’Euro avec l’Italie.

« Pau Lopez est devenu plus décisif »

Donc selon vous, Pau Lopez est celui qui a le plus progressé des deux par rapport à leur première saison en Ligue 1 Uber Eats ?
Intrinsèquement, je dirais que Lopez est moins fort que Donnarumma. Donc la progression de l’Espagnol est plus visible, car il partait de plus loin. D’ailleurs à ses débuts à l’OM, c’était un peu compliqué pour lui. Pour le Parisien c’est comme avec les surdoués : tu en attends toujours plus. Et surtout à son arrivée au PSG, tout le monde avait en tête l’image de son Euro après lequel beaucoup s’accordaient à dire qu’il était le meilleur gardien au monde. En arrivant au PSG, on s’attendait donc à monts et merveilles de sa part. Sauf qu’en réalité, il n’a joué qu’un match sur deux avec en plus le match du Real qui a eu un effet désastreux sur sa progression… Pau Lopez est lui devenu plus décisif que la saison dernière. Il n’avait d’ailleurs pas fini la saison au détriment de Mandanda (remplaçant lors de 4 des 5 dernières journées). Le coach Jorge Sampaoli l’avait décidé au moment où les points comptaient triple. Ce n’est pas pour rien, il devait penser que son gardien n’était pas assez décisif.

Donc l’Espagnol serait celui qui a le plus bénéficié du statut de n°1 incontestable ?
Le départ de Steve Mandanda lui a fait beaucoup de bien. Retirer tout le poids de la présence d’un tel monstre sacré à l’OM lui a visiblement permis d’être plus tranquille. Et il a beaucoup de qualités : il est très bon dans les un contre un, il prend des risques mesurés et il commence à venir s’imposer dans les airs. Ce qu’il ne faisait pas avant. Il ne faut pas oublier que Lopez a aussi eu cinq mois de tranquillité en plus par rapport à Donnarumma, car Navas n’est parti qu’il y a quelques semaines. Même s’il avait déjà été intronisé n°1 du PSG, il y avait l’ombre de Keylor tous les jours à l’entraînement. Personnellement, j’ai toujours été pour identifier clairement un n°1 et un n°2, comme c’est désormais le cas au PSG (Sergio Rico est gardien n°2). Ce poste est trop différent pour être mis en concurrence toutes les semaines.

Les gardiens de l'OM

« On ne passe rien à Donnarumma »

Vous parlez de Donnarumma qui fêtera ses 24 ans samedi, veille du Classique, comme d’un phénomène. Qu’a-t-il de si particulier ?
Car il est très bon dans ce qui est très difficile à faire. Il réussit beaucoup d’arrêts impossibles ! Donnarumma réalise des choses que lui seul est capable de faire. En revanche, il prend des buts évitables, comme celui contre le Bayern (0-1, 8e de finale aller de Ligue des Champions). Ce match résume bien son profil. Même s’il y a des joueurs responsables sur le but munichois, il doit la sortir. En revanche, l’arrêt d’après sur Choupo-Moting en laissant trainer la main pour empêcher le 0-2, c’est un arrêt que peu de gardiens au monde peuvent accomplir.

Selon vous, dans quel domaine doit-il encore s’améliorer ?
Techniquement, je trouve qu’il a du mal sur les ballons près de lui et sans trop de force. C’est paradoxal, mais je pense qu’il a une vraie marge de progression sur les frappes moyennes. Car il doit être capable de faire mieux que ça. Dans les compartiments du jeu très compliqués, l’Italien est l’un des meilleurs en Europe. Ce qui est compliqué il l’a dans les gants.

Ce talent explique-t-il l’exigence qu’il y a autour de lui ?
Etant un des plus grands espoirs du poste, on ne passe rien à Donnarumma. C’est le jeu quand tu es un phénomène. A Monaco, le PSG perd 3-1, mais sans lui, il perd 6-1. Et là, la défaite aurait eu un tout autre impact. Même chose en Coupe de France à l’OM (2-1), où tu peux perdre 4 ou 5-1. Même contre le LOSC, il réussit un arrêt incroyable après 1’30. Et personne ne s’en souvient, du fait du scénario du match (4-3). Donc tout ça, ses défenseurs le voient bien eux. Ils perçoivent les choses différemment des médias et se rendent compte que dans ce contexte actuel au PSG c’est peut-être là que Donnarumma est en train de progresser le plus depuis son arrivée.

Trouvez-vous le regard des médias trop dur à son encontre ?
Je vais vous donner un exemple. J’en parlais avec des amis journalistes après le Bayern qui ne savaient pas trop quelle note lui mettre. Ils lui ont mis 4, alors que j’aurais plutôt donné un 5, car après son erreur il fait un gros match. Sans lui, le PSG peut aussi aller au Bayern à 0-3… Les gardiens sont jugés différemment des autres joueurs. Si un attaquant rate un pénalty mais fait après un très bon match, on ne lui en tiendra pas rigueur et il n’aura pas 4 dans le journal le lendemain. Toute erreur est définitive avec les gardiens.

Pour en revenir au prochain Classique, Gianluigi Donnarumma sera-t-il marqué par Ruslan Malinovskiy qui l’a battu sur une grosse frappe en Coupe de France ?
Il y a tellement de matchs et de sollicitations qu’il n’y pense plus. Il y a eu d’autres drames et des bonheurs depuis ! Ce n’est pas quelque chose qui le hante, j’en suis certain. Pour moi, il est prêt.

En face, Pau Lopez dispose-t-il d’un avantage psychologique sur Kylian Mbappé après ses exploits de l’aller face au Français ?
Kylian Mbappé affronte les meilleurs gardiens chaque semaine avec le PSG et à chaque rassemblement de l’Equipe de France, donc à mon avis il est aussi passé à autre chose. Ou au contraire, il va se servir de ce qu’a fait Pau lors du Classique au Parc pour faire mieux. Même si l’Espagnol a fait un super match à l’aller, il n’y a pas de traumatisme du côté de Mbappé. En revanche, le PSG va se rappeler qu’il s’est fait marcher dessus pendant 95 minutes au Vélodrome au début du mois. Ce qui peut changer des choses dans la préparation au niveau de l’orgueil des Parisiens.

Et vous concernant, quels sont vos meilleurs souvenirs du « Classique » ?
J’ai eu la chance d’en jouer six et d’en remporter cinq. C’est injuste pour l’OM car je n’en ai connu que du côté parisien. A l’OM j’étais en Ligue 2 BKT puis doublure de Köpke. Alors je me souviens forcément de mon premier, lorsque j’arrête quatre pénaltys en Coupe de France (16es, 01/02) ! Un pendant le match et trois lors de la séance victorieuse (1-1, 8-7 aux tab). Ce match a clairement été un marqueur de ma carrière au PSG. Je suis un peu fautif sur le pénalty que j’arrête, après une mésentente avec Déhu. Personne ne s’en souvient réellement, mais cette action aurait pu me coûter très cher pour le reste de ma carrière. Ensuite, il y a la saison avec Vahid (Halilhodzic, entraîneur PSG entre 2003 et 2005) où on termine à la 2e place (2003/04), et nous gagnons 1-0 à Marseille grâce à un but de Fiorèse à la toute fin. Celui-ci est sans doute un de mes trois meilleurs matchs en carrière en Ligue 1 Uber Eats. Et je réalise même le plus bel arrêt de ma carrière face à Mido. D’ailleurs depuis, dès que je croise Didier Drogba qui jouait à l’OM à l’époque, il m’en parle à chaque fois en faisant mine de s’énerver (rires) !

Les gardiens du PSG

« Un passeport périmé m’a privé de Trophée des Champions »

A présent, pouvez-vous nous parler de votre carrière de consultant et de votre arrivée chez Prime Video ?
C’est devenu un secteur très concurrentiel ! Je suis donc très fier d’être dans ma 13e année de consultant. Et Prime Video, c’est la cerise sur le gâteau ! Car ce n’était pas du tout prévu. C’est grâce aux liens entre L’Equipe, où j’étais déjà, et Prime que la porte s’est ouverte pour moi. J’ai été contacté lors de l’été 2021 pour le Trophée des Champions à Tel-Aviv. Evidemment, j’ai spontanément dit oui, mais il s’est trouvé que mon passeport était périmé…La tuile. J’ai alors pensé que j’allais rater ce train avec Prime pour une bêtise…Ils m’ont tout de même pris pour la saison de Ligue 1 Uber Eats avec quelques dates (2021/22). Puis de ça, nous sommes passés à presque 30 dates sur la saison. Donc avec en plus L’Equipe et Radio France, et si je compte le fait que je suis jeune papa et mon poste de vice-président de l’équipe de basket d’Antibes (qui évolue en Pro B cette saison), cela me fait des journées rythmées !

Chez Prime Video, vous êtes qui plus est une valeur ajoutée, car l’unique ancien gardien pro dans l’équipe de consultants.
L’avantage d’un gardien est à mon avis qu’il peut parler aussi pertinemment du rôle d’attaquant que celui de gardien. Aujourd’hui, les gardiens sont un élément important du jeu et leur poste est beaucoup plus analysé que par le passé. Il a été pendant longtemps sous médiatisé et lorsqu’il l’était, c’était généralement négativement…Aujourd’hui, avec plusieurs ex-gardiens devenus consultants dans les médias, le poste est bien défendu. J’aime pouvoir décortiquer un arrêt, un placement ou une erreur de gardien, et expliquer pourquoi il aurait pu faire mieux selon ses qualités. Et cela, jamais avec l’idée que j’aurais personnellement fait mieux que lui ! Car il ne faut pas oublier que parmi les gardiens que j’analyse certains ont déjà ou vont avoir une plus grande carrière que la mienne…J’ai bien conscience que certains d’entre eux sont plus forts que moi (rires) ! Néanmoins je pense être légitime pour apporter un œil intéressant sur le poste.

Et vous semblez être fait pour ce rôle de consultant avec notamment votre aisance à l’antenne. C’était d’ailleurs déjà le cas lorsque vous étiez encore joueur…
Oui. Quand j’étais joueur, je pratiquais beaucoup l’auto-dérision et je chambrais. Avoir le sens de la formule et de la répartie, ça aide pour faire ce métier. J’ai la tchatche. Je n’ai pas besoin de me forcer pour parler, c’est dans mon caractère. Alors l’avoir pour débattre en plateau c’est bien, mais ça l’est moins pour commenter. Donc j’ai dû travailler dessus et la radio m’a énormément aidé à synthétiser mes pensées, mais aussi pour la diction et le rythme. En réalité, le métier de consultant a été ma première opportunité à la fin de ma carrière. Pour faire le deuil de ma carrière, je voulais replonger tout de suite dans quelque chose et il s’est trouvé que ça a été consultant.

En tant qu’ancien joueur, comment se font les liens avec les joueurs actuels dont vous commentez les performances ?
Ce sont les joueurs qui décident, car je ne cherche absolument pas à faire copain-copain. Je suis très peu présent sur les réseaux sociaux, donc ou ils me connaissent via la TV ou ils ne me connaissent pas. Moi je les connais tous, donc c’est un peu eux qui choisissent. Il arrive que je lise des déclarations de joueurs parlant de moi comme « Mr. Alonzo a dit ». Dans ce cas, je suis certain qu’ils ne m’ont jamais vu jouer (rires)… Il reste un seul joueur avec lequel j’ai évolué en Ligue 1 Uber Eats, c’est Mamadou Sakho (au PSG en 2007/08). Et contre qui j’ai joué, il en reste un peu plus, comme Steve Mandanda, Rémy Cabella, Wahbi Khazri, Alex Letellier, et aussi Dimitri Payet et Max Dupé que j’ai vu débuter à Nantes.