Interview

Stéphane Carnot : « Drogba marchait sur l’eau ! »

Stéphane Carnot : « Drogba marchait sur l’eau ! »

Interview
Publié le 23/05 à 14:16 -

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De toutes les aventures avec l’EA Guingamp, Stéphane Carnot revient sur une carrière où il a vu éclore certains des plus des grands attaquants des années 90-2000 : de Guivarc’h à Cissé en passant par Henry et forcément Drogba. Il y est aussi question de passes décisives et de Benarbia.

Votre nom est historiquement lié à celui de Stéphane Guivarc’h sous les couleurs de l’En Avant. Pouvez-vous revenir sur votre entente ?
On jouait déjà ensemble en pupilles (9-10 ans). Car nous sommes du même coin dans le Finistère Sud, lui de Concarneau et moi de Saint-Yvi. Donc on se croisait dans les tournois de jeunes. Je dirais que l’on s’est toujours connu. Quand il est arrivé à Guingamp (1991), nous étions toujours ensemble. On s’entendait très bien.

Et cela se passait également très bien sur le terrain tous les deux.
La connivence que l’on avait dans la vie, nous l’avions aussi sur le terrain, car on se cherchait mutuellement. Même si plus moi que lui, car c’était mon poste qui voulait ça (meneur de jeu). Quand j’étais sur un côté, j’imaginais où il était. Et il arrivait très souvent qu’il y était… Je me souviens lui avoir donné des ballons sans regarder. Et dans ce cas vous gagnez du temps, car votre défenseur lui ne voit rien venir. Et lui savait ce que j’allais faire selon l’endroit où je me situais. Ensemble, nous n’avons finalement pas tellement joué en Ligue 1 Uber Eats, mais plutôt en National et en Ligue 2 BKT. Et lorsqu’il est revenu au club (2001), nous avons très peu joué ensemble, car il a été obligé d’arrêter rapidement sa carrière…

« Benarbia ? Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi doué »

Vous étiez dans un registre de passeur à ses côtés. Vous êtes ensuite devenu un expert du rôle à une époque où l’on mettait moins en avant les passeurs décisifs.
En effet, même si quand on joue n°10, on essaye de faire les deux : donner et marquer des buts. Après je trouve qu’il y avait déjà un intérêt pour les passes. Par exemple après mon année à Monaco, je jouais à Auxerre (1998/99) et je me souviens qu’Ali Benarbia (également à Monaco la saison d’avant) était parti à Bordeaux. Et on se chambrait pendant les matchs pour savoir celui qui allait faire les passes décisives. C’était notre marque de fabrique à tous les deux, même si Ali était encore la gamme au-dessus. Quand je le regardais, je me demandais parfois comment il avait pu voir qu’il y avait cette passe à faire. Il avait une qualité de passe vraiment exceptionnelle. Il avait un œil et également la qualité technique pour le réaliser. C’était le top ! Je ne crois pas avoir vu quelqu’un d’aussi doué. Il la mettait pied droit ou pied gauche. Impressionnant.

Ce type de profil a un peu disparu du foot moderne.
Aujourd’hui, quand je vois Messi…Même dans les matchs où on le voit peu, il sort toujours deux, trois passes qui sont formidables. Mais il y a moins d’équipe qui jouent avec un n°10, ou même deux. Comme l’a fait le Bordeaux de 1999 avec Micoud et Benarbia. Ça ne les avait pas empêchés de faire une énorme saison. Mais c’est l’évolution. Les derniers en date qui ont joué dans ce registre sont Gourcuff, Pagis, Leroy ou encore Nivet.

« Avec Cissé, pas besoin d’être précis dans la passe »

A votre époque, vous avez pu servir des attaquants qui marqué leur époque, les Thierry Henry, David Trezeguet ou encore Djibril Cissé et Didier Drogba…
Titi Henry et Trezeguet, je n’ai pas été souvent titulaire à Monaco. Il y avait une entente à l’entraînement, car les attaquants avaient besoin de mes ballons, mais on n’a pas tellement pu le mettre en pratique en match. Et si j’ai peu joué avec Djibril, je pense que j’aurais bien aimé. Entre nous, ça aurait fonctionné, car il prenait tout le temps la profondeur. Ce qui est bien avec un attaquant comme lui qui va vite et adore la profondeur, c’est que vous pouvez vous tromper 10-15 mètres dans votre passe ! Avec lui, il n’y avait pas besoin d’être dans la précision, car dans tous les cas il rattrapait le ballon. J’ai connu ça aussi à Guingamp avec Hakim Saci qui allait lui aussi vite.

Concernant Didier Drogba, vous avez pu évoluer une saison et demie avec lui à Guingamp, notamment en 2002/03. Quel attaquant était-il à 23 ans ?
Didier est arrivé au club en cours de saison (janvier 2002), lorsque nous nous sommes maintenus à la dernière journée (2001/02). Disons qu’il se créait beaucoup d’occasions, mais qu’il n’en mettait pas beaucoup au fond les six premiers mois (3 buts en 11 matchs)… Et au début de la saison suivante, il n’a pas débuté comme titulaire. Face à l’OL lors de la 1ère journée, il est sur le banc, et il marque à la dernière minute (3-3). Le match suivant à Ajaccio (0-2), il met une tête des 18 mètres après 2 minutes et sa saison était lancée ! Il prend alors confiance et nous met des buts improbables, que lui seul pouvait mettre. Je me souviens de celui contre Troyes, où il s’arrête et frappe en pleine lunette, et de celui en aile de pigeon contre Bastia…Du coup, nous aussi avons alors eu confiance en lui. On se disait que si nous lui donnions un bon ballon, nous aurions une grande chance d’avoir un but de plus. Même s’il était aussi capable de nous mettre des buts tout seul. Il nous a apporté un énorme plus. Cette saison, il nous a manqué deux ou trois journées pour finir en Ligue des Champions (Guingamp se classe 7e à 3 pts du troisième). Malgré cette grosse saison, on ne finit que 7e. Normalement, lorsque vous terminez à 6 points du champion (OL), vous devez être deuxième. Nous avions terminé en boulet de canon avec 8 victoires lors des 9 dernières journées. Cette saison, Didier marchait sur l’eau (17 buts). Malheureusement un jour à l’entraînement, il a manqué une tête banale et il s’est énervé. En frappant de rage dans le poteau, il s’est blessé et nous avons perdu trois des quatre matchs sans lui. A son retour, nous avons retrouvé le chemin de la victoire. Cela a certainement pesé au final.