Interview

Mousa Tamari : « Je n’aime pas qu’on m’appelle le Messi jordanien »

Mousa Tamari : « Je n’aime pas qu’on m’appelle le Messi jordanien »

Interview
Publié le 06/02 à 17:49 - Arnaud Di Stasio

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A l'occasion de son brillant parcours actuel avec la Jordanie en Coupe d'Asie, retrouvez l'interview du premier Jordanien à jouer en France, Mousa Tamari, qui nous a raconté cet été son parcours, ses premières semaines au MHSC et le foot en Jordanie.

Peux-tu nous retracer ton parcours, à commencer par ton enfance en Jordanie ?
Je suis né à Amman, la capitale du pays, dans une famille qui aime le foot, comme tout le monde en Jordanie. J’ai toujours adoré le foot et j’ai commencé à jouer en club à 8-9 ans, à Shabab Al-Ordon. Depuis tout jeune, je rêvais de faire carrière dans le foot et de jouer dans un des cinq grands championnats mais ma mère voulait que je me concentre sur les études. Ce n’est pas qu’elle ne croyait pas en moi mais elle me disait que ce serait compliqué de vivre mon rêve en Jordanie. Mais je lui ai un peu tenu tête, je voulais me battre et voir où le foot pouvait me mener. Finalement, j’ai gravi les échelons avec Shabab Al-Ordon jusqu’à me retrouver en équipe première et en D1 jordanienne à 19 ans.

Et ensuite ?
Après quelques matchs seulement, j’ai eu la chance d’être appelé en sélection. Une immense fierté pour moi. Un an plus tard, j’ai été prêté dans un autre club d’Amman, Al-Jazira, avec qui j’ai remporté la Coupe de Jordanie et avec qui j’ai pu disputer des matchs d’AFC Cup, la deuxième coupe d’Asie. J’ai eu la chance de marquer quelques buts dans cette compétition (6 en 7 matchs), ce qui m’a sûrement aidé à signer à Chypre, à l’APOEL Nicosie, lors de l’été 2018.

« Les Jordaniens sont fiers de moi »

Tu as commencé à évoquer la question mais peux-tu nous parler un peu plus de la place qu’occupe le foot en Jordanie ?
C’est le sport numéro 1 ! Tout le monde regarde les matchs qui passent à la TV, que ce soit les matchs du championnat d’Espagne, de France, d’Angleterre… Beaucoup de Jordaniens sont supporters de gros clubs européens et, bien sûr, de notre équipe nationale. Il y a une vraie passion autour du foot.

Que connaissais-tu de la Ligue 1 Uber Eats à l’époque ?
Je savais que c’était un championnat difficile, physique, un des cinq grands championnats. Avec l’APOEL, j’ai eu la chance de jouer la Ligue des champions et la Ligue Europa et d’affronter des équipes comme l’Ajax ou Séville, qu’on avait d’ailleurs réussi à battre chez nous. Ce sont des compétitions et des matchs qui procurent des émotions incroyables. Je voulais retrouver ça. J’ai commencé à construire mon rêve en Jordanie, enfant, et aujourd’hui, me voici en France, dans un des meilleurs championnats du monde ! Je sais que les Jordaniens sont fiers de moi et je vais tout faire pour continuer à vivre ce rêve.

Tu comptes plus de 50 matchs en équipe de Jordanie, une sélection qui tient régulièrement tête à l’Australie et qui a fait bonne figure contre l’Espagne et la Serbie récemment…
Il y a eu le tirage au sort des qualifications pour le Mondial 2026 il y a peu. On est tombés dans le groupe de l’Arabie Saoudite, du Tadjikistan et du Pakistan ou du Cambodge. On a pour objectif de se qualifier pour la prochaine Coupe du monde. Il y a aussi la Coupe d’Asie au début de l’année prochaine. Avec l’équipe et le coach qu’on a, on vise les demi-finales.

Quel style de jeu pratique l’équipe de Jordanie ?
On donne tout sur le terrain, on a la « grinta » ! Et surtout, on joue au ballon maintenant. Il y a quelques années, il y avait davantage de jeu long, mais les choses changent, grâce notamment au nouveau sélectionneur, le Marocain Hussein Ammouta. Et ça porte ses fruits. Par exemple, en juin, on a joué contre la Serbie et on était meilleurs qu’eux. Le match s’est malheureusement terminé par une défaite 3-2 mais, à 10 minutes de la fin, on menait 2-1 et on était bien mieux qu’eux. Et quelques jours plus tard, on a réussi à battre la Jamaïque. On a une bonne équipe, joueuse et solidaire.

« Ma mission ? Montrer ce dont les Jordaniens sont capables »

Tu es le seul joueur de l’équipe de Jordanie à évoluer en Europe. Pourquoi n’y en a-t-il pas davantage ?
Parce que les clubs européens ne regardent pas les matchs en Jordanie ! S’ils venaient nous observer, ils recruteraient des Jordaniens ! On a beaucoup de très bons joueurs. C’est aussi ma mission de montrer ce dont les Jordaniens sont capables. Quand j’étais en Belgique, à Louvain, mon club a mis à l’essai deux de mes compatriotes. Ça s’était bien passé pour eux mais ils n’avaient pas pu rester pour des raisons administratives. A Chypre, l’APOEL avait aussi recruté un autre Jordanien mais il n’est plus en Europe, il est parti en Azerbaïdjan. S’il n’y a pas beaucoup de joueurs jordaniens en Europe, il y en a une bonne dizaine au Moyen-Orient, dans des championnats comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar.

Tu es le premier Jordanien à jouer en Ligue 1 Uber Eats. Est-ce davantage une pression ou une force supplémentaire ?
Une force et une fierté, évidemment ! Mais être le premier Jordanien à jouer en France n’est pas une fin en soi, il m’en faut plus. Maintenant, il faut que je montre que je suis capable d’être performant à ce niveau. Et Montpellier est un club parfait pour cela. Je l’ai compris à la façon dont les joueurs m’ont accueilli ici.

C’est-à-dire ?
Ce ne sont pas que de bons joueurs, ce sont aussi des garçons qui font tout pour m’aider depuis le premier jour. C’est à l’opposé de ce que j’ai pu vivre à mon arrivée en Belgique où c’était beaucoup plus froid. Ici, tout le monde vient me parler, tout le monde essaie de m’intégrer. Je ne suis pas seul, on essaie de me faire sentir comme un membre de la famille. Ça me donne envie de tout donner sur le terrain pour aider le club.

« Mamadou Sakho, c’est le top »

Qui sont les joueurs qui t’ont le plus aidé à ton arrivée ?
Muhammad (Mamadou Sakho) ! C’est une très bonne personne. Ça ne fait que quelques semaines mais on est déjà très proches. On parle beaucoup tous les deux, on plaisante… Il traduit beaucoup de choses pour moi. Mais ce n’est pas le seul. Téji Savanier est très gentil avec moi, Wahbi Khazri et Jordan Ferri également. Mais Mamadou, c’est le top !

Entre Chypre et Montpellier, tu as donc joué trois saisons en Belgique, à Louvain. Venir en France, un pays culturellement proche de la Belgique, était un moyen de faciliter ton adaptation ?
Ça a joué, oui. Le championnat belge est également très physique mais, comme je l’expliquais plus tôt, c’est surtout que c’était mon rêve depuis tout petit de jouer dans un des cinq grands championnats européens et dans un grand club comme Montpellier. Quand le club m’a contacté, j’aurais été fou de refuser. Je me devais d’accepter et de voir si j’avais le niveau de la Ligue 1 Uber Eats. Après la Belgique, c’était logique de rejoindre la France pour continuer à progresser.

Pour ceux qui ne t’auraient pas encore vu jouer, peux-tu décrire ton style ?
J’aime le un contre un, je dribble bien, je suis rapide ballon au pied… Mais j’aime aussi beaucoup combiner, faire des une-deux, le beau jeu collectif. Il ne faut pas croire que je joue seulement de mon côté. Il m’est arrivé de dépanner en pointe quelques fois mais je suis un joueur d’aile. Après, comme en Belgique, je peux partir de la droite pour revenir dans l’axe. Mais je ferai ce que le coach me demande, ce qui sera le plus utile pour l’équipe.

Est-ce que tu t’es fixé des objectifs pour la saison à venir ?
J’aimerais marquer davantage de buts et j’aimerais aussi donner davantage de passes décisives. C’est simple, mon objectif est de faire mieux qu’en Belgique dans tous les domaines !

« Une chanson qui parlait de moi comme le Messi jordanien »

La saison dernière, il y avait le « Messi vietnamien » en Ligue 2 BKT, à Pau, et cette année, il y a donc le « Messi jordanien » en Ligue 1 Uber Eats...
Je sais que certains m’appellent comme ça mais je n’aime pas ce surnom (rires). C’est à Chypre qu’ils ont inventé ce surnom. Là-bas, les supporters sont un peu fous (rires). En fait, quand je suis arrivé à l’APOEL, le président avait vendu beaucoup de joueurs importants et l’équipe avait de moins bons résultats que d’habitude. Mais comme je donnais tout sur le terrain et que je marquais beaucoup, les supporters m’adoraient et ils ont inventé une chanson qui parlait de moi comme le « Messi jordanien » ! Finalement, la saison s’est très bien terminée puisqu’on a été champions et moi, j’ai été élu meilleur joueur du championnat chypriote. Mais les supporters de l’APOEL, c’est quelque chose… Ils me manquent parfois et ce club aura toujours une place spéciale pour moi car c’est le club qui m’a fait venir en Europe et c’est le plus grand club de Chypre.

Pour finir, quel est le moment le plus fou que tu aies vécu sur un terrain ?
C’est peut-être ce match sur le terrain d’Anderlecht avec Louvain, en début de saison dernière. On jouait depuis 10 minutes quand j’ai trouvé un téléphone portable sur la pelouse. Je l’ai ramassé et je suis allé voir l’arbitre pour lui donner. Au début, il a cru que c’était le mien mais non ! Il n’avait pas été lancé par des supporters, je pense plutôt que quelqu’un l’avait perdu pendant la reconnaissance du terrain ou même avant !

(Photo : MHSC)