Montassar Talbi (FC Lorient).
Interview

Montassar Talbi : « Je n’irais pas jusqu’à dire que je fais du charme aux arbitres, mais… »

Montassar Talbi : « Je n’irais pas jusqu’à dire que je fais du charme aux arbitres, mais… »

Interview
Publié le 14/09 à 09:47 - NM

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Titulaire indiscutable dans les rangs du FC Lorient depuis son arrivée la saison dernière, l’international tunisien Montassar Talbi se livre sur sa progression en Bretagne et retrace ses différentes expériences à l’étranger, de la Tunisie à la Russie en passant par la Turquie, à seulement 25 ans. Entretien.

Certains de vos coéquipiers vous appellent-ils Monsieur Propre ?
Oui ! Ça fait un petit moment que ce surnom est apparu. A partir de la deuxième partie de saison dernière, dès que la stat autour de mon absence de carton reçu sortait, plusieurs personnes ont commencé à m’appeler Monsieur Propre. C’est quelque chose qui tourne un peu dans le vestiaire et je le prends bien. Pour moi, défendre de manière propre, c’est toujours positif.

En effet, la saison dernière vous avez été le seul joueur de Ligue 1 Uber Eats à avoir disputé l’ensemble des 38 journées, en intégralité, sans récolter le moindre carton et êtes reparti sur les mêmes bases cette saison alors que vous êtes défenseur central. Comment doit-on l’interpréter ?
Il ne faut surtout pas croire que je ne vais pas au duel ou que je refuse les contacts ! Au contraire, je suis un joueur qui aime être proche de l’attaquant, lui faire sentir ma présence, et qui aime gagner un maximum de duels. Je pense que j’ai tout simplement pris en maturité, en expérience et cela me permet de défendre de manière plus intelligente que par le passé.

C’est-à-dire ?
Auparavant, je faisais beaucoup de fautes et je prenais un certain nombre de cartons mais désormais, je suis plus dans l’anticipation et surtout dans la lecture du jeu. Je sais qu’il y a des endroits où il ne faut pas faire de faute et où il vaut mieux laisser l’attaquant avec le ballon faire une passe en retrait. Dans ce cas-là, c’est comme si j’avais gagné un duel ! C’est au fil des années et des matchs cumulés que j’apprends de mes erreurs.

Avec 67% de duels gagnés la saison passée et 70% cette saison, avez-vous tout de même un secret pour éviter d’être sanctionné ?
Je vais au contact mais j’essaie toujours de jouer le ballon. C’est-à-dire que je ne vais pas essayer de donner des coups pour faire mal à mon adversaire mais je vais lui faire sentir à ma manière qu’il va passer un match difficile. Donc, le secret, c’est d’être au maximum fair-play. Je n’irais pas jusqu’à dire que je fais du charme aux arbitres mais quand je sais que j’ai commis une faute, je ne vais pas râler ou contester, je vais plutôt relever mon adversaire et laisser le jeu repartir.

« Je me suis amélioré dans l’analyse du jeu en temps réel »

Dans quels domaines avez-vous l’impression d’avoir le plus progressé depuis votre arrivée à Lorient ?
On a la chance de travailler avec un coach et un staff qui nous permettent de progresser sur plusieurs points. Je sens que je me suis amélioré dans l’analyse du jeu en temps réel, dans ma manière de le comprendre, de m’adapter et dans ma capacité à trouver des solutions face aux problèmes posés par l’adversaire. Sur le terrain, cela se traduit dans mes choix de sorties de balle ou dans ma manière de défendre par rapport à la façon dont combine l’attaque adverse.

Vous avez aussi participé à la Coupe du Monde 2022 avec la Tunisie. Sur quels points cela vous a aussi permis de grandir ?
C’était déjà un rêve de gosse qui se réalisait en ayant la chance d’y participer. Après, c’est vrai que dans ce type de compétition, on rencontre des adversaires de très haut niveau, il y a un niveau d’adrénaline, d’émotion, de concentration et de pression beaucoup plus élevés qu’en championnat, donc c’est très enrichissant et intensif sur une période courte. La gestion des émotions et de la pression dans une telle compétition ne permettent que de progresser et de grandir.

Vous avez évoqué le travail du staff du FC Lorient, pouvez-vous nous en dire plus sur le rôle de Régis Le Bris dans votre évolution ?
Un très grand rôle ! Quand je vois le Montassar Talbi qui est arrivé en juillet 2022 et celui d’aujourd’hui, ce n’est plus le même. C’est un joueur qui a passé des paliers et qui a pris en maturité tactique, physique et technique. Tout ça, c’est grâce au coach et à son staff. Le coach m’a donné beaucoup de responsabilités et de confiance.

Quelle est sa méthode ?
Il essaie de nous faire jouer un football attrayant et efficace. Si tu es acteur de son projet et concerné par sa manière de travailler, tu ne peux que progresser à travers chaque entraînement et séance vidéo. Pour moi, être entraîné par un coach comme Monsieur Régis, ce n’est que du positif car je sais que de jour en jour et de match en match, je ne fais que progresser. Ma plus grande satisfaction depuis que je suis arrivé, c’est le fait qu’en tant que joueur et humain, j’ai tout simplement grandi !

« Il faut savoir faire preuve d’autocritique lors des séances vidéo »

Le staff est réputé pour ses séances vidéo et ses retours d’après-match. Pouvez-vous nous en parler ?
C’est un exercice où il faut savoir faire preuve d’autocritique. Ce n’est pas le coach qui va nous pointer du doigt, ce sont les acteurs de la situation qui vont devoir s’exprimer devant le groupe. Par exemple, si le coach montre une action défensive côté gauche, l’axial gauche, le latéral gauche et le milieu de terrain vont prendre la parole pour expliquer les problèmes rencontrés ou les solutions qui auraient pu ou dû être choisies. Le fait d'être acteur des différentes situations et d'en faire l’autocritique obligent à toujours se remettre en question.

Vous pouvez aussi visionner vos actions individuellement…
Oui, on a à disposition tous nos entraînements et un retour individuel après chaque match sur une application. Cette saison, on a même un drone à l’entraînement, donc on a des images encore plus précises pour regarder les mouvements, les solutions ou les lignes de passe qu’on n’a peut-être pas vus sur le terrain. La vidéo, depuis que je suis ici, c’est quelque chose que j’utilise de manière encore plus poussée et au quotidien. Je visionne tout. Après chaque match, comme j’ai souvent une petite insomnie, j’en profite pour le visionner et après, j’attends le retour individuel du staff. Toutes ces vidéos me permettent de voir réellement ma progression, tout comme on peut observer celle du collectif lors des séances avec le groupe.

Rencontrez-vous parfois des difficultés à faire votre autocritique lors des séances devant tout le groupe ?
Non ! Personnellement, j’ai toujours cette soif de progresser et d’améliorer les choses que je ne réalise pas forcément très bien. Je trouve que c’est positif de pouvoir visualiser ce qu’on peut améliorer et de recueillir les avis des joueurs autour de moi, du coach et du staff. Ça te permet d’avoir toutes les cartes en main pour pouvoir peaufiner ton jeu, devenir un meilleur joueur et aider davantage l’équipe. Après, peut-être que lorsqu’un joueur arrive, ça peut être un peu délicat comme exercice, mais lorsque tu fais deux séances et que tu vois que tout le monde se livre sans avoir d’ego surdimensionné, tu te prêtes au jeu naturellement.

Vous enchaînez votre deuxième saison en Ligue 1 Uber Eats, qu’est-ce qui vous a le plus surpris lors de vos premiers matchs en France ?
Le niveau d’intensité ! Le niveau de la Ligue 1 Uber Eats, tout simplement ! Lorsque tu deviens un acteur du championnat, tu te rends compte que c’est un niveau très relevé. Il n’y a pas de match facile. Quand tu prépares un match, tu dois le faire sur plusieurs aspects. Il ne faut seulement pas se concentrer sur le niveau intrinsèque de chaque joueur, il faut aussi étudier le collectif adverse : la façon dont on peut les presser, la façon dont on peut garder le ballon, la façon dont on peut les attaquer… Il y a vraiment une approche tactique poussée. Puis, dans chaque équipe, tu trouves des joueurs très talentueux. C’est un championnat où tu ne peux que progresser. C’était un bon choix de venir en Ligue 1 Uber Eats, je ne le regrette pas, car je peux dire que grâce au championnat, je progresse.

« Tout est réuni pour pouvoir progresser à Lorient »

Justement, quels aspects de votre jeu aimeriez-vous encore améliorer ?
Tous ! Je considère qu’il faut toujours continuer de consolider ses points forts pour devenir meilleur. Après, mes points faibles, je ne vais pas forcément les dire en interview, sinon les attaquants vont les cibler (sourire). Avec le coach, on se focalise de plus en plus sur des détails : des placements sur le terrain, des positionnements du corps… Des aspects qui peuvent me permettre d’évoluer et de devenir encore plus efficace dans les relances. De toute façon, ici, le développement de chaque joueur est primordial. On a tout à disposition. Si tu as l’envie de progresser, tout est réuni pour pouvoir le faire ! Tu ne peux pas trouver d’excuse !

Vous semblez avoir une grande culture du travail. D’où vient-elle ?
Dans les catégories de jeunes, je n’ai jamais été le joueur talentueux qui sortait du lot, mais j’ai toujours été celui dont on disait que j’étais le plus sérieux. J’ai cette culture en moi depuis mon plus jeune âge. Lorsque tu as un petit peu moins de talent que les autres, il faut se rabattre sur le travail et cravacher très dur pour atteindre le haut niveau. De toute façon, même si tu as beaucoup de talent, pour pouvoir perdurer et être constant au haut niveau, il faut s’impliquer à 100%. Il n’y a que le travail qui paie !

Pour maintenant parler de vos débuts, vous êtes né en France mais c’est en Tunisie que vous avez été formé…
Je suis né à Paris et j’ai fait mes premiers pas dans le football en région parisienne, puis mes parents ont décidé de rentrer en Tunisie lorsque j’avais 12 ans. C’était un choix familial, je les ai suivis et j’ai intégré l’Espérance de Tunis, mon club de cœur depuis toujours. Même lorsqu’on vivait en France, chaque été, je revenais en Tunisie et j’allais au stade. Il y avait à chaque fois une ambiance incroyable, c’est l’un des meilleurs clubs africains.

Comment aviez-vous réussi à intégrer l’académie ?
Cela a été très compliqué car chaque été, il y a des centaines de joueurs de tout le pays qui souhaitent passer les tests pour intégrer le club. A l’époque, j’avais été surpris car le niveau était plutôt élevé, il y avait beaucoup de jeunes talentueux et très techniques. J’avais dû passer plusieurs semaines de tests où on était répartis dans plusieurs groupes avant d’être éliminés au fur et à mesure. Je suis passé par une catégorie de « rattrapage » pendant plusieurs mois, j’ai résisté, puis j’ai réussi à intégrer pleinement le club. J’ai fait mes gammes dans les équipes de jeunes jusqu’à mes 17 ans, l’âge où j’ai signé mon premier contrat professionnel, puis j’ai eu la chance de débuter ma carrière quelques mois plus tard.

« C’était l’école avant le football »

Quel était votre quotidien ?
En parallèle du foot, j’étais à l’école dans un collège-lycée français basé à Tunis et réputé parmi les établissements scolaires à l’étranger. J’avais le rythme d’un élève normal, j’avais cours de 8h à 16h ou de 8h à 18h, puis j’enchaînais directement avec les entraînements à 19h. C’était une belle jeunesse. Mes parents ont toujours fait en sorte que je ne manque de rien. Puis, je suis content d’avoir eu cette scolarité « classique » car j’y ai rencontré les personnes qui sont aujourd’hui mes meilleurs amis. Après, c’était un rythme chargé, ce n’était jamais simple de lier une vie de collégien-lycéen à plein temps et de jouer dans l’un des meilleurs clubs africains. Aujourd’hui, je ne peux qu’en être fier !

Est-ce vrai que la scolarité était très importante pour vous ?
Mes parents ont toujours accordé une place importante aux études. C’était l’école avant le football. C’est grâce à cette éducation que j’ai pu décrocher un bac avec ES avec mention et ainsi réussir à les rendre fiers. Ils savaient que ce n’était pas simple de devenir footballeur, qu’il pouvait exister des aléas qui font que tu passes à côté d’une carrière, donc ils voulaient que j’assure à l’école pour pouvoir me construire en tant qu’être humain. Si j’ai réussi à lier le foot et l’école jusqu’au bac, c’est encore une fois parce que mes parents ont tout fait pour me mettre dans les meilleures dispositions.

Comment avez-vous réussi à tirer votre épingle du jeu jusqu’à signer un premier contrat professionnel avec l’Espérance de Tunis ?
Quand le club m’a donné ma chance, j’ai su la saisir. Elle est arrivée lors d’un match amical avec les pros où le coach avait besoin de défenseurs pour faire le nombre. J’ai eu quelques minutes de jeu et j’ai réalisé une très bonne prestation au point de taper dans l’œil du président. Le club est ensuite parti en stage au Maroc lors de la trêve hivernale et j’ai été pris. J’ai nouvelle fois eu du temps de jeu et la saison suivante, j’ai directement repris avec le groupe pro.

Quel sentiment procure le fait de jouer pour son club de cœur ?
C’est incroyable ! On entend souvent qu’on doit se donner à 100% mais quand tu joues pour ton club, tu te donnes à 200% sans t’en rendre compte. Tu ne t’économises pas, tu as tout simplement envie de tout donner. Quand tu joues tes premiers matchs à Radès dans un stade plein qui chante de la première à la dernière minute, je peux vous dire que les frissons restent pendant un long moment. C’était un sentiment indescriptible de pouvoir gagner des trophées avec ce club, de pouvoir le représenter et rendre fier mes amis et ma famille qui sont fans du club. C’étaient des moments magiques.

« J’ai acquis un certain vécu en Turquie et en Russie »

A cette époque, vouliez-vous rapidement rejoindre un club évoluant en Europe ?
Oui ! J’avais déjà cette ambition de vouloir réussir une grande carrière. Dès mon plus jeune âge, je me disais que je voulais un jour jouer pour l’un des meilleurs clubs au monde. C’était une idée qui me trottait dans la tête et je savais que ça devait passer par un départ du championnat tunisien et du continent africain. C’est ce qui m’a conduit à passer par la Turquie, la Russie et à être aujourd’hui dans un très bon club de Ligue 1 Uber Eats.

Pourquoi avoir tout d’abord choisi la Turquie ?
C’est un choix qui avait fait beaucoup de bruit. Les gens ne comprenaient pas trop mais je savais où j’allais. Je ne devais pas brûler les étapes et je sentais que je devais passer par ce type de championnat pour continuer à engranger de l’expérience et du temps de jeu. Je savais aussi que c’était un championnat avec une certaine ferveur, des gros clubs et je me disais que ça pouvait être une belle vitrine si j’arrivais à tirer mon épingle du jeu en tant que jeune défenseur central étranger car il y en a très peu en Turquie. On va dire que c’était un risque calculé et il s’est avéré payant !

Que vous ont apporté vos expériences à Rizespor (Turquie) et au Rubin Kazan (Russie) ?
J’ai pu voir différentes visions du football avec chacune leur propre culture. J’ai aussi dû m’adapter à la vie en dehors du football. C’est-à-dire aux joueurs qui t’entourent, à la culture, à la langue… Et le fait de réussir à s’adapter dans ce type de pays, ça montre aussi l’exigence que tu as avec toi-même et surtout ta maturité. C’étaient deux belles expériences grâce auxquelles j’ai acquis un certain vécu que je peux utiliser pour m’adapter encore plus rapidement quand j’arrive dans un nouveau club, comme lorsque j’ai signé à Lorient.

Entre-temps, vous avez aussi goûté à la préparation italienne du côté de Benevento…
J'étais en fin de contrat avec Rizespor et je m'étais mis d'accord avec eux en janvier, mais le club est descendu en Serie B en fin de saison (2020/21). C’était une situation particulière car je venais de fêter en mars ma première sélection avec la Tunisie et on avait réussi à se maintenir avec Rizespor. Je n’avais pas signé pour jouer en deuxième division mais j’étais sous contrat et dès le 1er juillet, je les ai rejoints et j’ai fait la préparation. J’ai fait un mois et demi avec eux avant de partir au Rubin Kazan et c’est vrai que c’était très intense. Rien que sur ce laps de temps, j’ai pu m’améliorer physiquement et tactiquement. Je suis content d’avoir fait ce petit passage en Italie.

Ce sont tous ces voyages qui font le leader et le joueur que vous êtes en train de devenir aujourd’hui…
C’est vrai que lorsque tu changes de club, que tu voyages dans différents pays, ce n’est jamais facile de s’imposer dans le vestiaire mais il faut réussir à le faire rapidement et ça passe par du caractère. Il faut montrer que tu peux assumer des responsabilités et j’ai toujours eu ce tempérament. Lorsque j’ai commencé mes premiers matchs avec l’Espérance de Tunis, j’ai tout de suite donné de la voix. C’est quelque chose de naturel, je n’essaie pas de surjouer ou de faire du cinéma. En tant que défenseur, il ne faut pas hésiter à parler, à communiquer avec ses partenaires et à guider l’équipe. C’est un poste qui demande d’avoir un certain leadership, je l’ai compris très tôt, et c’est quelque chose qui se nourrit et se forge à travers tes différentes expériences.

Pour finir, votre gardien Yvon Mvogo m’a transmis une question pour vous : vos louches sont-elles toujours volontaires ?
(Rires) Bien sûr ! Si c’était un geste que je n’avais réussi qu’une fois, on aurait pu dire que c’était un coup de chance, mais je le fais à presque chaque match et à chaque entraînement. Je peux même vous dire qu’il kiffe ! Dès que je fais une louche, je l’entends crier derrière. Il aime bien ce genre de sortie sous pression. C’est un peu atypique mais c’est efficace et c’est le plus important. La saison dernière, j’en avais réussi une belle face à Marseille (rires). Une certaine pression était exercée sur moi, je ne pouvais que servir mon latéral et, pour moi, la seule façon de le trouver, c’était de faire une louche. On l’a revue en vidéo avec le groupe, c’était un moment très drôle, mais même le coach a dit que c’était efficace. Donc, je peux me servir de ma spécialité ! (rires)