Clinton Mata (OL).
Interview

Clinton Mata : « Ma carrière s’est construite au mental »

Clinton Mata : « Ma carrière s’est construite au mental »

Interview
Publié le 16/02 à 13:57

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Arrivé à l’Olympique Lyonnais l’été dernier, Clinton Mata retrace son parcours. De ses multiples clubs en province de Liège à son statut de défenseur de référence en Belgique, il se raconte.

On vous découvre cette saison en Ligue 1 Uber Eats. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
J’ai commencé le football à l’âge de cinq ans. Mes parents avaient décidé de m’inscrire dans le club à côté de chez moi car j’avais trop d’énergie, je bougeais beaucoup. Ils voulaient que je fasse une activité physique pour m’occuper après l’école et pendant les week-ends. C’est à partir de là que tout a commencé mais je jouais simplement pour prendre du plaisir avec mes potes. Ce n’était pas comme maintenant où les parents inscrivent leur enfant car ils attendent quelque chose derrière. Les miens n’attendaient rien en retour ! Ils voulaient simplement que je m’amuse.

Vous ne rêviez pas de devenir footballeur professionnel ?
Beaucoup de petits garçons en rêvent mais ce n’était pas mon cas. Quand je regardais la Ligue des champions avec mon père, je me disais : « Ça serait magnifique de pouvoir la jouer ! ». Mais je ne savais pas qu’un jour je deviendrai professionnel car ce n’était même pas un de mes rêves. Je comptais travailler en maçonnerie car j’aime beaucoup les bâtiments : construire des maisons, vendre des appartements… Donc, le football, c’est venu au fil du temps et naturellement.

Chez les jeunes, vous changiez souvent de clubs. C’était un choix de votre part ?
J’allais frapper à la porte des clubs tout seul ! J’ai commencé au Battice FC puis je suis allé à l’Étoile Elsautoise, un club à côté de chez moi également, à 13 ans. J’ai fait deux-trois saisons puis je suis parti à l’Entente Rechaintoise. J’étais toujours dans l’optique de m’amuser avec mes potes et de prendre du plaisir. J’ai encore fait quelques saisons, puis j’avais un ami qui jouait au RCS Visé. Je lui ai demandé s’il pouvait parler de moi pour faire un test et le club a accepté. J’avais déjà 17 ans mais ils m’ont pris et je suis resté deux saisons. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à prendre le football au sérieux.

Est-ce qu’on peut dire que vous multipliez les essais à l’époque ?
Oui ! Dès qu’un club était plus haut, j’allais tenter ma chance. J’enchaînais les clubs de village, mais je ne parvenais pas à intégrer le club phare de la région, le Standard de Liège. A chaque fois qu’il m’appelait pour faire des tests, il finissait par me recaler... On me disait que je n’étais pas assez bon. Mais je n’avais rien à perdre car je ne m’attendais pas à jouer un jour en première division.

« J’étais fâché d'être replacé arrière droit »

Vous finissez tout de même par rejoindre le KAS Eupen en 2010. Comment cela s’est fait ?
Le KAS Eupen venait de monter en première division et je suis encore allé de moi-même frapper à la porte du club (rires). Le club m’a accepté à l’une de ses périodes de tests puis je suis resté. J’ai commencé avec les U19 pendant six mois, ensuite je suis monté en réserve avec Marc Segatto, puis au bout de six mois, j’ai atteint le groupe professionnel qui était entre-temps redescendu en deuxième division.

Vous découvrez alors un nouveau poste, vous qui étiez milieu de terrain depuis vos débuts…
Oui, le club m’a fait passer ailier droit mais ce n’était pas trop ça. On ne voyait pas vraiment mes qualités. Ma première saison à Eupen (2011/12) n’est pas terrible, puis arrive le coach Tintín Márquez lors de l’été 2012 et il change ma carrière. Il me dit : « Je vais te replacer arrière droit. » Dans ma tête, je me disais : « Qu’est-ce qu’il me raconte ? Il ne me prend pas au sérieux. » J’étais fâché sur le coup, puis tout a changé pour moi. A partir de là, j’ai commencé à avoir plein d’offres : La Gantoise, SV Zulte Waregem, RSC Charleroi… Et j’ai fait le choix de rejoindre ce dernier car j’allais avoir le temps de grandir sans avoir trop de pression.

Comment se déroule votre découverte de la Jupiler Pro League ?
La première année ne se passe pas bien car c’était la première fois, à 19-20 ans, que je me retrouvais à vivre tout seul et à une heure et demie de chez mes parents. En plus, je ne jouais pas et je n’avais aucune explication. C’était vraiment difficile ! Je voyais aussi que mes parents souffraient de ma situation et je commençais même à me demander : « Est-ce que j’ai le niveau de la première division ? » Je voulais repartir en 2e division, mais on a toujours deux voix dans notre tête : une qui te dit de choisir la facilité et une autre qui te dit de ne pas abandonner. Finalement, je me suis accroché. Je me disais : « Un jour vous aurez besoin de moi ! »

« Felice Mazzù m’a forgé un mental d’acier »

Vous vous accrochiez grâce à votre mental ?
C’est ça ! Je faisais aussi beaucoup d'entraînements supplémentaires. J’allais jusqu'à Bruxelles faire des séances avec des coéquipiers comme Parfait Mandanda ou Francis N'Ganga. J’y allais le mardi et le mercredi après les entraînements, mais le week-end, je me retrouvais en tribune. Que c’était compliqué… Mais je ne lâchais pas, je travaillais pour moi. Ma carrière s’est construite au mental. Le talent, c’est bien, mais c’est celui qui est le plus fort dans sa tête qui réussit. Une carrière, c’est un marathon. Il faut toujours essayer de rester constant.

Et le coach Felice Mazzù a fini par avoir besoin de vous ?
Le 2 novembre 2015 ! Je n'oublierai jamais cette date. Ce jour-là, le coach me dit : « Tu vas débuter contre le Club Bruges. » C’était un cadeau empoisonné car si je me ratais, c’est sûr que je retournais à la cave. J’avais appelé mes parents pour en parler et ils m’avaient transmis leur confiance. Pendant le match, ce n’était pas moi sur le terrain, Dieu était avec moi car je suis très croyant. Tout ce que je faisais, c’était réussi ! Quand je suis sorti, tout le monde m’a applaudi et je me suis dit : « Waouh… C’est ça de jouer en première division ! »

Ce n’est que lors de votre troisième saison que vous devenez indiscutable…
C’est ça ! Ma deuxième saison débute de manière similaire à la première, je ne joue pas pendant six mois, puis mon concurrent se blesse en décembre. Mais le jour de sa blessure, le coach ne me fait pas entrer et préfère mettre un ailier droit à sa place. Oh là là… Là, il m’avait tué. J’étais rentré chez moi en pleure car j'intériorisais depuis un moment. Je ne voulais plus rien savoir. Finalement, le coach a fini par me donner ma chance, puis j’ai joué non-stop pendant deux ans. Aujourd’hui, je n’en veux pas au coach Felice Mazzù car il m’a vraiment forgé un mental d’acier.

Vous vous retrouvez ensuite au KRC Genk…
Le club appréciait beaucoup mon profil et m’avait aussi recruté pour accompagner Joakim Maehle, aujourd’hui au VfL Wolfsburg. On alternait les matchs tous les deux. C’était une concurrence saine. Il jouait, j’étais content pour lui, je jouais, il était heureux pour moi. Puis, j’ai connu ma première blessure en novembre (2017), une pubalgie. Au départ, je ne savais même pas ce que c’était, j’avais juste mal au niveau des adducteurs. Je n’arrivais pas à faire une passe à un mètre, mais le problème, c’est que j’étais en prêt et je craignais que le club ne me conserve pas… Heureusement, j’ai réussi à revenir et j’ai fait une fin de saison correcte.

« J’étais considéré comme le meilleur de Belgique »

Elle vous permet même de taper dans l’œil du Club Bruges…
Oui mais j’arrive blessé. Comme j’avais voulu vite revenir avec Genk, je n’avais pas suffisamment traité ma pubalgie. J’ai dû me faire opérer et je n’ai pas joué pendant les trois premiers mois. Quand je reviens, je découvre encore un nouveau poste, celui de piston droit car l’équipe joue en 3-5-2. Je ne vais pas dire que j’étais très bon à ce poste mais je me débrouillais. Puis, Ivan Leko décide de me mettre en défense centrale dans son système à trois. Je lui en serai reconnaissant à vie car j’explose. On voit toutes mes qualités : pressing, agressivité, anticipation…

Mais cette évolution intervient encore après une blessure d’un de vos coéquipiers…
Oui ! Le central Benoît Poulain se blesse avant les play-offs et Ivan Leko me dit que je vais jouer derrière. Il me rassure et me dit que ce sera facile mais j’avais du mal à le croire. Le match arrive et au bout de 20 minutes, je mets un boulet de canon en lucarne de 35 mètres – qui sera élu but de l’année. Ça m’a permis de me mettre tout de suite en confiance puis, à partir de là, je n’ai fait qu’évoluer dans mon jeu au fil des saisons en alternant entre le poste de central et de latéral. C’est-à-dire que lorsqu’on jouait à quatre derrière, j’étais arrière droit, et lorsqu’on jouait à trois, j’étais défenseur central droit.

Comment vous êtes-vous adapté à ces différents changements de poste ?
(Rires) Si je voulais jouer, je n’avais pas trop le choix que de m’adapter. Je pense qu’il faut faire fonctionner son cerveau pour s’adapter. Le foot, c’est aussi un sport où tu dois beaucoup penser. D’ailleurs, c’est quand j’ai évolué dans une défense à trois que je me suis senti le plus fort. A ce poste, vous pouvez demander aux journalistes belges, j’étais considéré comme le meilleur de Belgique. Après, ça ne me dérange pas d’évoluer au poste d’arrière droit car c’est celui où j’ai été formé en pro. Mais si tu me mets dans une défense à trois, je l’ai prouvé pendant plusieurs années en Belgique, c’est là où tu vois ma meilleure version.

« Mon parcours peut inspirer certains jeunes »

Après avoir passé toute votre carrière en Belgique, vous sentiez que c’était le bon moment de vous exiler l’été dernier ?
Oui, c’était le bon moment pour partir. J’ai toujours été quelqu’un d’ambitieux et je ne voulais pas arrêter ma carrière en ayant le regret de ne jamais être parti à l’étranger. Donc, dès que l'offre de l’OL est arrivée, je suis directement parti voir le président. C’est la première fois que je le faisais réellement car jusqu’alors quand le président refusait les offres, je l’acceptais car j’étais bien à Bruges. J’ai été champion trois saisons d'affilée, j’ai remporté deux Supercoupes, j’ai été élu joueur de l’année… Mais j’ai senti que c’était le moment de découvrir autre chose.

Quelle a été votre réaction quand l’OL vous a exprimé un intérêt ?
Je n’y croyais pas ! J’étais très surpris que le club s’intéresse à moi, surtout à mon âge. A 30 ans, même si tu n’es pas vieux, dans le football, tu commences petit à petit à devenir un ancien. J’étais vraiment, vraiment surpris, et surtout flatté. C’est un grand club. Même si aujourd’hui les résultats sont moins satisfaisants, c’est un club avec une histoire. Plus jeune, quand je regardais la Ligue des champions, l’OL terrorisait tout le monde. Juninho, Fred, Malouda, Abidal, Essien, Coupet… C’est pour cela qu’aujourd’hui, je peux comprendre les supporters et leur déception. Ils veulent retrouver leur club qui écrasait tout le monde. On en est conscient. C’est à nous de faire le maximum, et de ramener le club où il était.

Comment résumeriez-vous votre carrière ?
Personne ne s’attendait à ce que je fasse une carrière de la sorte. Je suis un joueur qui a surpris tout le monde. Je ne suis pas passé par un centre de formation, j’étais le petit qui jouait dans des petits clubs et qui voyait ses potes partir dans des clubs de première division, donc, aujourd’hui, il y en a beaucoup qui sont choqués. Je pense que c’est aussi un exemple pour les jeunes qui pensent qu’on ne peut pas réussir sans passer par un centre de formation. Certes, c’est un drôle de parcours, j’ai dû prendre de nombreux virages, mais je pense que ça peut inspirer certains jeunes. Il ne faut jamais baisser les bras !