Interview

Marshall Munetsi : « Changer l’image de notre profession »

Marshall Munetsi : « Changer l’image de notre profession »

Interview
Publié le 21/06 à 11:22 - Arnaud Di Stasio

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Vainqueur du Trophée UNFP du joueur citoyen, le milieu rémois Marshall Munetsi évoque son engagement, lui qui finance l’éducation de nombreux enfants au Zimbabwe. Un entretien dans lequel il parle aussi de Will Still et Folarin Balogun.

Marshall Munetsi, 27 ans, vient de boucler la meilleure saison de sa carrière avec le Stade de Reims (7 buts et 2 passes décisives en 34 matchs). Le milieu international zimbabwéen brille également en dehors des terrains via sa fondation, qui finance l’éducation de 60 enfants de Harare, la capitale de son pays.

Tu as remporté le prix du joueur citoyen lors des derniers Trophées UNFP, quelques jours après avoir prolongé ton contrat au Stade de Reims. Un contrat qui prévoit que le club reverse 100 euros à ta fondation pour chaque kilomètre que tu parcours sur le terrain. D’où est venue cette idée ?
Du club ! Tout était calé de mon côté pour signer une prolongation de contrat jusqu’en 2027 lorsque le club m’a parlé de ce mécanisme pour aider ma fondation. Ça m’a vraiment surpris car c’est la première fois que j’entendais parler d’une clause de ce type. C’est pour ça que je tiens à remercier le Stade de Reims une fois de plus ! Les dirigeants me demandaient régulièrement comment ça se passait pour ma fondation au Zimbabwe. Mais de là à imaginer qu’ils mettraient une clause pareille dans mon nouveau contrat… Ça montre que lorsque tu essaies de faire le bien, les gens le remarquent et essaient de t’aider.

« Donner aux enfants ce dont ils ont besoin pour aller à l’école »

Peux-tu nous parler de ta fondation plus en détails ?
Ça faisait plusieurs années que j’avais cette idée en tête mais c’est en 2019 que ce projet a pu se concrétiser. Je suis très heureux du développement de ma fondation car de plus en plus de personnes sont au courant de ce qu’on y fait et essaient d’apporter leur aide, de donner aux enfants ce dont ils ont besoin pour aller à l’école.

Combien d’enfants sont concernés ?
Au début, nous aidions 30 enfants. Aujourd’hui, ils sont 60 et ce nombre va encore augmenter grâce à la nouvelle clause mise dans mon contrat. Ces enfants sont répartis entre Donnybrook et Mabvuku, deux écoles primaires de Harare, la capitale du Zimbabwe. C’est là où j’ai grandi. Cette fondation est une manière de rendre à ceux qui m’ont aidé à devenir celui que je suis aujourd’hui, notamment les professeurs que j’ai eus à l’époque et qui sont toujours là-bas. Quand je les ai retrouvés, ils étaient très heureux de voir ce qui a pu être mis en place grâce aux valeurs qu’ils m’ont inculquées. La relation que j’ai avec ces professeurs facilite le dialogue. Ils me tiennent au courant de comment les enfants vont, de comment ils progressent en cours…

Quelle est la récurrence de ces échanges ?
Ça dépend. On est parfois amenés à communiquer pendant la saison, lorsqu’il y a des sujets urgents, mais sinon, le gros des échanges a lieu pendant les trêves internationales et pendant l’intersaison. Au quotidien, il y a des personnes sur le terrain qui sont plus à même de gérer certaines situations que moi, qui suis à distance.

« L’éducation et le sport doivent tenir une place centrale »

Peux-tu revenir sur la genèse de ce projet ?
En grandissant au Zimbabwe, j’ai vu trop d’enfants faire face à des obstacles et des difficultés auxquels ils ne devraient pas faire face. Je pense notamment aux orphelins. Dans beaucoup de pays d’Afrique, l’éduction n’est pas gratuite. Le résultat, c’est que certains enfants tombent dans la drogue, certaines filles se retrouvent mariées très jeunes, d’autres se prostituent… C’est ce qui peut arriver à ceux qui n’ont personne pour subvenir à leurs besoins. Pour toutes ces raisons, l’éducation et le sport doivent tenir une place centrale dans leur vie, c’est ce qui peut changer leur destin. Même si je ne veux pas entrer dans les détails, il est arrivé un drame à l’une de mes cousines, quelque chose que je ne souhaite à personne. Cette histoire n’a fait que renforcer mon sentiment : l’accès à l’éducation permet d’éviter de se retrouver dans certaines situations difficiles. L’accent a été mis sur l’aide aux jeunes filles pour qu’elles se retrouvent le plus souvent possible en position de force et le moins possible en position de faiblesse.

Quel est le coût de l’éducation au Zimbabwe ?
En ce moment, la situation économique est difficile, avec une inflation énorme dans tous les secteurs, l’éducation y compris. Les frais de scolarité augmentent et là où ça coûtait 40 euros par enfant, c’est passé à 70 euros. Tout ça multiplié par 60 enfants. Il faut ensuite ajouter le coût des fournitures, de la cantine, des vêtements…

« Il faut protéger les jeunes footballeurs »

Tu n'es pas le seul joueur zimbabwéen à t’investir ainsi…
C’est vrai, il y a aussi Tino Kadewere, Marvelous Nakamba… Plein de joueurs africains agissent. Je le sais car on en parle entre nous. On sait d’où l’on vient et combien il est difficile de s’en sortir donc on communique un maximum pour avoir un impact positif sur la situation dans nos pays. Je suis très heureux de voir qu’on arrive à avancer et qu’on arrive à montrer aux gouvernements l’importance de l’éducation. J’espère qu’un jour, ce sera comme en Europe, où l’on n’a pas besoin de payer pour aller à l’école, surtout quand on est enfant.

En janvier, tu as été nommé membre du Conseil mondial des joueurs de la FIFPRO, la fédération internationale de syndicats de joueurs. Tu peux nous expliquer en quoi ça consiste ?
Déjà, c’est un privilège et un immense honneur d’avoir été choisi. Essayer de changer les choses et d’aider d’autres joueurs est très important. En Afrique, il y a un certain nombre de problèmes avec les faux agents, qui promettent à des jeunes une carrière en Europe, qui leur font miroiter des destinations comme Madrid ou Monaco et se font payer de grosses sommes avant de disparaître dans la nature. Il y a aussi des clubs qui abusent les joueurs au niveau financier. Il faut protéger les jeunes footballeurs, garçons et filles, qui aspirent à jouer au plus haut niveau et qui en sont empêchés par des interférences politiques, comme c’est le cas au Zimbabwe actuellement. Mon rôle est de m’impliquer, de faire connaître ces problèmes.

Tes coéquipiers au Stade de Reims sont au courant de ton engagement ?
Oui, nous sommes comme une famille ici donc on discute de ces choses-là. Certains de mes coéquipiers sont confrontés à des problèmes du même type. Kamory Doumbia m’a par exemple parlé de certains soucis au Mali. Maintenant que mes coéquipiers savent que je fais partie de la FIFPRO, ils viennent me demander conseil, ils se renseignent sur comment la FIFPRO peut les aider. Il faut dire que beaucoup de joueurs prennent des initiatives pour aider les gens de leurs pays d’origine, pour amener des changements positifs. On entend souvent de mauvaises choses sur les footballeurs donc il est temps de faire les choses bien et de changer l’image de notre profession.

« Folarin Balogun va continuer son ascension »

Pour parler maintenant de la saison qui s’est écoulée, tu t’es retrouvé à jouer en soutien de l’attaquant ces derniers mois. C’était une première pour toi ?
A Reims, oui, mais, plus jeune, j’avais déjà joué à cet endroit. En changeant de système, le coach Will Still nous a permis de nous réveiller et, logiquement, il a fait le choix de maintenir cette base pour la suite de la saison. Mais, même si je me suis retrouvé à jouer plus haut, l’adaptation a été facile car on avait bien travaillé à l’entraînement, on avait fait beaucoup de vidéo… Le coach m’a aussi beaucoup parlé. Son message est toujours très clair car c’est quelqu’un qui prend le temps de te faire comprendre ce qu’il attend de toi.

Que ce soit avec Reims ou en sélection du Zimbabwe, tu as aussi été amené à jouer en défense centrale. Sais-tu à quel poste Will Still compte t’utiliser la saison prochaine ?
Je n’ai pas l’habitude de poser ce genre de questions. La décision finale revient au coach et je ferai mon maximum quel que soit le poste où il me demande de jouer. Il faut toujours penser à l’équipe en premier et le poste auquel je joue importe peu, je ne ferai jamais de problème.

Will Still a reçu beaucoup de compliments depuis qu’il a pris l’équipe en main. Qu’est-ce qui te marque chez lui ?
Déjà, c’est une très bonne personne. Il a tout de suite montré cette volonté de nous réveiller, de nous écouter et de nous aider. Les joueurs l’appréciaient beaucoup avant même qu’il soit l’entraîneur numéro 1 donc, une fois qu’il a été nommé, tout s’est passé très facilement. La communication est fluide et on a vite compris ce qu’il voulait mettre en place tactiquement donc les résultats qu’on a obtenus avec lui n’étaient pas une surprise. Quand le coach et les joueurs ont une bonne relation, ça se passe bien généralement, comme on peut le voir à Lens également. Je suis très heureux de la prolongation du coach et je pense qu’il peut construire quelque chose de spécial à Reims.

Falorin Balogun nous confiait en début de saison que tu avais été très important dans son adaptation…
Folarin est un joueur à part. Le jour de son arrivée, j’ai tout de suite vu qu’il pourrait avoir besoin de mon aide car il parlait anglais et que la majeure partie de l’effectif est francophone. Je lui ai donc dit que j’allais être là pour lui s’il avait besoin de mon aide, pour la traduction notamment. J’ai été dans la même position que lui à mon arrivée à Reims donc je comprenais parfaitement ce qu’il traversait. Intégrer une nouvelle équipe et découvrir un nouveau pays, ce n’est pas évident. Folarin est quelqu’un de bien donc je suis très heureux de l’avoir vu faire une telle saison, de l’avoir vu progresser ainsi. C’est un bosseur. Je suis sûr qu’il va continuer son ascension et qu’il va continuer à briller.

« Je ne serai pas le prochain George Weah ! »

Tu évoquais un peu plus tôt la situation compliquée de l’équipe du Zimbabwe, avec qui tu comptes plus de 20 sélections mais dont la fédération a été suspendue par la FIFA début 2022…
Oui… Les règles sont connues : la FIFA ne veut pas d’ingérence politique dans le fonctionnement des fédérations nationales. C’est le souci avec le Zimbabwe actuellement. Peut-être que le gouvernement a de bonnes raisons de s’impliquer dans le sportif mais ce n’est pas autorisé par la FIFA et, au final, ce sont les joueurs et les supporters qui se retrouvent pénalisés, pas les politiciens. Cette suspension nous affecte beaucoup et j’espère que la situation va très vite changer. Beaucoup de très jeunes joueurs souffrent de cette suspension car vous ne le savez peut-être pas mais lorsque la FIFA suspend une fédération, elle coupe les aides qui servent à développer le football, les infrastructures… C’est un moment très triste pour notre pays car le football zimbabwéen était en pleine progression, avec des joueurs qui évoluent dans les plus grands championnats européens, mais tout a été mis en pause à cause de cette situation.

On a vu un certain nombre de joueurs faire de la politique après avoir raccroché les crampons. Même si tu n’as que 26 ans, est-ce quelque chose qui peut t’attirer par la suite ?
Ça ne m’a jamais traversé l’esprit et ce n’est pas pour moi je pense. Je suis un footballeur avant tout et ce que je fais actuellement n’a rien à voir avec la politique. Je suis juste heureux de pouvoir aider les jeunes Zimbabwéens grâce à ma fondation. Je ne serai pas le prochain George Weah (rires). Ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse et je ne pense pas en avoir les capacités.

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