Interview

Shamar Nicholson : « En Jamaïque, on se fiche de qui tu es »

Shamar Nicholson : « En Jamaïque, on se fiche de qui tu es »

Interview
Publié le 29/02 à 09:32 - Arnaud Di Stasio

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Sa découverte de Clermont et son adaptation, son lien fort avec Samuel Gigot, Usain Bolt, l’équipe de Jamaïque, les binationaux… L’attaquant des Reggae Boyz Shamar Nicholson se raconte. Entretien.

Comment as-tu entendu parler de Clermont Foot pour la première fois ?
Par Maximiliano Caufriez, qui était mon coéquipier au Spartak Moscou. La saison dernière, il a été prêté à Clermont et je suivais un peu ce qu’il faisait ici. Et cet été, avant d’arriver, je l’ai appelé pour le prévenir que je venais mais il était déjà au courant !

Et que savais-tu de Clermont avant de signer ici ?
Quand mon agent m’a dit que le club s’intéressait à moi, j’ai tapé « Clermont » dans Google, je n’ai demandé d’informations à personne. Je savais que c’était un club de Ligue 1 Uber Eats, un championnat que je suivais en Jamaïque. C’est ce qui m’a poussé à venir. Et quand je suis arrivé, ma première impression a été de me dire que Clermont ressemblait beaucoup à Charleroi, en Belgique, où j’ai joué pendant deux ans. C’est une petite ville, tranquille. Il n’y a pas grand-chose à faire mais c’est une bonne chose car tu peux te concentrer sur le football du coup (rires).

« Le principal challenge, c’était la météo »

Avoir joué en Belgique a donc facilité ton adaptation en France ?
Oui, vraiment. Je n’ai pas été surpris par ce que j’ai trouvé ici, surtout que lorsque j’étais en Belgique, j’étais venu en France plusieurs fois. Mais c’est sûr qu’il y a une grosse différence avec la Jamaïque. Là-bas, il y a toujours de la musique, des gens qui parlent ensemble dans la rue... La culture est sans doute assez similaire à celle de l’Afrique. La principale difficulté dans mon adaptation en Europe a été la météo. Niveau nourriture, ça allait. Quand je suis arrivé en Europe, en Slovénie puis en Belgique, je pouvais trouver des pâtes, du poulet frit, comme en Jamaïque. La vraie différence et le principal challenge, c’était la météo !

Et la langue ?
Ici, j’ai de la chance car beaucoup de joueurs parlent bien anglais : Mehdi Zeffane, Maximiliano Caufriez, Andy Pelmard… Je pourrais en citer beaucoup d’autres.

Que fais-tu de ton temps libre ?
Comme je le disais tout à l’heure, il n’y a pas énormément de choses à faire ici donc je passe du temps à la maison essentiellement. Je me repose, je discute avec ma famille, j’écoute de la musique… Du reggae, du dancehall, du rap, de l’afrobeat… La musique est vraiment importante dans mon quotidien.

« Je me souviens de Benzema, Drogba, Lacazette… »

Pour maintenant parler du championnat de France, que connaissais-tu de la Ligue 1 Uber Eats avant ton arrivée ?
Plus jeune, je regardais ce championnat et la Premier League aussi. En Jamaïque, ils diffusent les matchs des cinq grands championnats européens donc je connaissais les grosses équipes françaises. Mais je n’avais jamais vu de matchs de Clermont (rires). Je me souviens de Karim Benzema quand il jouait à Lyon, de Didier Drogba à Marseille, d’André Ayew également… Il y avait aussi Alexandre Lacazette avant qu’il quitte Lyon pour Arsenal, Dimitri Payet… Je sais aussi que mon compatriote Junior Flemmings a joué en France, à Toulouse, mais il n’a pas joué en Ligue 1 Uber Eats, seulement en Ligue 2 BKT (11 matchs avec Toulouse et Niort).

Maintenant que tu évolues en France, sens-tu que tu as changé de statut dans ton pays ?
Non, j’étais déjà célèbre en Jamaïque (rires) ! Si on prend les footballeurs jamaïcains actuels, je fais partie des plus connus. Il y a peut-être Leon Bailey qui est plus célèbre que moi mais c’est tout (rires).

Après n’avoir marqué qu’un but lors de tes 12 premiers matchs, tu en as marqué 3 depuis fin 2023. Comment l’expliques-tu ?
Durant mes premiers mois, j’ai fait plusieurs bons matchs lors desquels je ne marquais pas mais je créais des occasions, je donnais des passes décisives (deux sur ses quatre premiers matchs)… Et plus tard, j’ai récolté les fruits de mon travail en marquant. Je suis un joueur d’équipe, je me bats, et c’est ce que je faisais déjà sur les matchs où je ne marquais pas. Ces premiers mois ont servi à bâtir les fondations des buts que j’ai mis ensuite. Et ensuite, quand tu marques, tu gagnes en confiance, en efficacité…

Tu es le premier Jamaïcain à marquer en Ligue 1 Uber Eats. Qu’est-ce que ça signifie pour toi ?
Beaucoup ! Peut-être que les gens se disent que ça ne représente pas grand-chose mais, pour moi, c’est un accomplissement, un honneur. Qui sait ? Peut-être que ça va permettre à d’autres joueurs jamaïcains de venir jouer en France dans le futur et que ce sera un peu grâce à moi.

« Avec Samuel Gigot, on a créé un lien fort »

Par rapport à ce que tu as connu en Belgique ou en Russie, est-ce que tu as eu à adapter ta façon de jouer ?
Dans chaque pays, il y a des qualités et des faiblesses différentes mais, pour moi, il n’y a pas de faiblesses en France. C’est un championnat physique où, parfois, tu peux te sentir très fatigué au bout de 20 minutes seulement à cause des duels, des sprints… Ensuite, ici, il faut être capable d’être concentré plus longtemps. Il a fallu que je travaille ça.

Tout à l’heure, tu parlais de ton coéquipier Maximiliano Caufriez, avec qui tu étais déjà au Spartak Moscou. Là-bas, tu jouais aussi avec Samuel Gigot, que tu vas retrouver samedi à l’occasion de Clermont-OM…
C’était sympa de le revoir lors du match aller en décembre même si, malheureusement, on avait perdu (2-1). A Moscou, c’est quelqu’un qui m’a très bien accueilli, qui s’est très bien comporté avec moi. Là-bas, on a créé un lien fort tous les deux. Samuel est un très bon mec et un très bon défenseur. Il a presque tout mais, sa qualité principale, c’est son caractère. Même à l’entraînement, c’est compliqué contre lui car il est toujours à fond. A Moscou, c’était mon voisin donc on se voyait tous les jours après l’entraînement. On allait au resto ensemble, on allait au golf ensemble… Enfin, lui jouait, pas moi, donc disons plutôt que je l’accompagnais au golf !

« Personne ne prenait l’équipe de Jamaïque au sérieux »

Pour en venir à l’équipe de Jamaïque, en novembre, les Reggae Boyz se sont qualifiés pour les demi-finales de la Ligue des nations de la zone CONCACAF en éliminant le Canada. Sur la double confrontation, tu as marqué trois des quatre buts jamaïcains dont un doublé à Toronto. C’est ton meilleur souvenir à ce jour ?
Non, mon meilleur souvenir en équipe nationale reste le jour de ma première sélection, en 2017, contre les États-Unis. Mais ce match à Toronto restera un grand souvenir également. Dans la zone CONCACAF, on a réussi quelques résultats mais personne ne nous prenait au sérieux. Ces dernières années, on a tout de même réussi à battre le Mexique, les États-Unis… Mais oui, le Canada fait partie des meilleures sélections de la région. Ils ont terminé devant le Mexique et les États-Unis lors des éliminatoires pour le Mondial 2022. Réussir ce qu’on a réussi à Toronto fait qu’on va davantage nous prendre au sérieux mais ce n’est qu’un début.

Lors de la prochaine trêve internationale, l’équipe de Jamaïque va donc jouer le dernier carré de la Ligue des nations. L’été dernier, vous aviez également atteint les demi-finales de la Gold Cup. Peut-on dire que la sélection vit une des meilleures périodes de son histoire ?
Tout le monde parle de l’équipe de 1998 comme la meilleure puisqu’ils se sont qualifiés pour la Coupe du monde en France, le plus haut niveau mondial. Ça reste la meilleure génération mais certains observateurs disent qu’on a peut-être plus du talent. Mais ce n’est pas le talent qui t’emmène loin, c’est la mentalité, le caractère.

Quel est le style de jeu de l’équipe de Jamaïque ?
On a des joueurs rapides, notamment sur les ailes. Surtout, on a la chance d’avoir une certaine continuité puisque les équipes de jeunes comme l’équipe première jouent dans le même système, un peu comme l’Espagne. Mais évidemment, on n’a pas la même façon de jouer que les Espagnols. Nous, on mise beaucoup sur la contre-attaque.

Votre sélectionneur, Heimir Hallgrímsson, est islandais, un mariage auquel on ne s’attend pas forcément…
C’est un entraîneur européen et, personnellement, je joue en Europe depuis plusieurs années donc ses idées ne me surprennent pas. C’est peut-être différent pour les joueurs qui n’ont jamais quitté la Jamaïque mais je n’ai pas rencontré le moindre problème avec lui et, depuis sa prise de poste, je comprends très bien ce qu’il souhaite mettre en place.

« L’ambiance en sélection est incroyable »

L’équipe de Jamaïque peut compter sur plusieurs grands noms devant puisqu’en plus de toi, il y a Michail Antonio, Leon Bailey ou encore Demarai Gray. Comment vous entendez-vous ?
On a tous une culture commune qui permet de créer une alchimie en sélection. La culture jamaïcaine, c’est prendre du plaisir, s’amuser… On aime chanter, danser, faire des blagues… Un peu comme en Afrique. Tous les joueurs de la sélection sont sur la même longueur d’ondes et les nouveaux s’intègrent très vite. Comme d’autres, Michail Antonio n’est pas né en Jamaïque mais il a la même culture que nous, il comprend la vibe et on a lui montré de l’amour. On s’entend tous très bien. Même les joueurs qui sont remplaçants prennent plaisir à venir sélection car l’ambiance y est incroyable.

Comme tu l’évoquais, Michail Antonio et beaucoup de joueurs de la sélection actuelle sont nés en Angleterre. Ce recours aux binationaux est-il récent ?
Ça fait un moment que c’est comme ça, ce n’est pas nouveau, mais c’est vrai qu’aujourd’hui, ça arrive dans une plus grande proportion qu’auparavant. Là où il y avait 5-6 joueurs nés en Angleterre en sélection auparavant, il y en a désormais beaucoup plus.

« J’aimerais être le meilleur buteur de la sélection »

Tu as marqué 16 buts pour l’équipe de Jamaïque, ce qui fait de toi le 9e meilleur buteur de l’histoire de la sélection. Est-ce que tu as un objectif par rapport à ça ?
Oui, carrément. Le recordman, Luton Shelton, est une vraie légende. Tout ce qu’il a fait pour notre pays est incroyable (international entre 2004 et 2013, il totalise 35 buts). Qu’il repose en paix mais j’aimerais un jour le dépasser et être le meilleur buteur de la sélection…

Si ça arrive un jour, on pourra dire de toi que tu es le Usain Bolt du football ?
Je ne dirais pas ça (rires). C’est drôle mais en Jamaïque, on se fiche de qui tu es. Ce n’est pas parce que tu es une célébrité que les gens vont te porter aux nues. Quand on me voit dans la rue en Jamaïque, on me demande parfois une photo mais c’est tout. La plupart du temps, on ne te calcule pas. C’est différent d’ici en Europe (rires).

Pour terminer, peux-tu nous parler de ta fondation ?
Ce n’est pas encore officiellement lancé mais on se rapproche du but. Cette fondation aura pour but d’aider un maximum d’enfants à poursuivre leurs rêves, à financer leurs études pour qu’ils puissent faire ce qu’ils veulent ensuite, que ce soit devenir médecins, professeurs… Tout le monde ne veut pas devenir footballeur (sourire) ! Ça fait plus d’un an qu’on travaille avec des avocats et différentes personnes pour mettre en place cette fondation. Je fais les choses discrètement, dans mon coin, je ne suis pas du style à faire venir les caméras pour me mettre en avant, mais on veut aider un maximum de gamins.